vendredi 22 mars 2019

Us (Jordan Peele, 2019)


La famille de Us est l'archétype de la nouvelle bourgeoisie. Elle trouve sa plus belle expression dans l'excellente d'Anthony Anderson Black-ish, qu'on pourrait traduire par Noir – ou à peu près. Dans les années 1980, quand commence le film, c’était la famille Huxtable de Bill Cosby qui était le modèle à atteindre. La famille de Black-ish cherche à tout prix le conformisme tout en regardant son histoire passée dans toute la complexité de la ségrégation sociale et culturelle.

Le t-shirt de l'enfant dans le flash-back situé en 1986 qui lance Us est celui de Thriller de Michael Jackson. La scène est de nuit dans une fête foraine. Le dérèglement se noue autour du père de l'enfant, ses gestes et son comportement dénotent une tension, d'autant qu'on discerne à peine son visage, il reste presque constamment de dos tandis qu'il joue à une attraction foraine. Il ne remarque pas que sa fille file se promener tandis que la mère est allé aux toilettes.

La rigueur de la mise en scène de Jordan Peele pousse à errer dans des zones inquiétantes, cette forêt où se perd l'enfant, une forêt de l'enfance dont les arbres tout en verticalité crée des barreaux telle ceux d'une prison. C'est dans ces barreaux, dans cette prison, dans cette forêt que se trouve la source de l'angoisse que va déployer le cinéaste. C'est d'autant plus fort que cette forêt est une pure illusion visuelle d'une autre attraction foraine.

De nos jours, comme l'indique le carton, on devine que la petite fille est devenue cette mère. La famille Wilson, c'est Adelaide (Lupita Nyong'o) mariée à Gabe (Winston Duke) et qu'ils sont les parents des deux ados, Zora l'aînée (Shahadi Wright Joseph) et Jason (Evan Alex), qui se chamaillent à l'arrière de la voiture. Une bonne grosse bagnole de parvenus. Les voilà partis en vacances au bord de la mer, à Santa Cruz, dans une résidence secondaire plutôt cossue d.

Le film joue sur le conformisme dans lequel se vautre Gabe et veut en faire profiter sa famille. Ce bateau acheté pour faire des tours en mer. Pour l'instant, il doit amener tout le monde à la plage. Cette famille modèle se confronte à la famille Tyler, dernier avatar de la décadence WASP. La mère (Elisabeth Moss) comme le père (Tim Heidecker), alcooliques patentés, parents de deux jumelles, qui sembleront, plus tard, devenir des déclinaisons adultes des jumelles de Shining.

Le soir-même, Jason, toujours avec son masque de vampire sur la tête, dit à ses parents « qu'il y a une famille au bout de l'allée ». Effectivement, dans le noir on aperçoit cette famille. Gabe pense que ce doit être les Tyler qui font une blague (le film ne manque pas d'humour). Ils ne bougent et c'est ce statisme qui crée chez Jordan Peele cette angoisse. Plus tôt, un plan très ensoleillé, une plongée sur la famille Wilson qui traversait le cadre en oblique annonçait cette angoisse.

La facilité avec laquelle le cinéaste parvient à inventer des formes du Mal qui ne soient ni tout à fait des zombies, ni des slashers, ni des démons est la meilleure nouvelle cinématographique de la décennie. Déjà Get out était une aventure narrative et esthétique jouissive, Us est aujourd'hui une vision en miroir, un reflet de l'Amérique de Trump (le rouge de la famille de l'allée rappelle la cravate du POTUS).

Un reflet dystopique d'un monde où la ségrégation serait revenue avec une moitié de la population enfouie dans des tunnels à l'ombre, bégayant, terrifiée et terrifiante, avec ces gestes mécaniques comme ceux du père d’Adélaïde en début de film. Ce récit a son lot d'explications en fin de film, c'est dommage que Jordan Peele ne fasse pas plus confiance au spectateur, à sa capacité à remplir les trous mystérieux qu'il a patiemment mis en place dans la première heure.

Mais c'est un récit qu'il dirige de manière fulgurante. La narration est dans un temps restreint, une journée tout au plus, jour nuit et jour. Personne n'a le temps de réfléchir dans ce film à ce que ces personnages en rouge. On s'interroge sur les signes, tel cet homme qui brandit une pancarte Jeremiah 11:11. « Voici, je fais venir sur eux un Mal dont ils ne pourront pas sortir et ils crieront à moi et je ne les écouterai pas. »

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