Alors
que ses pairs inventent à Babelsberg le cinéma expressionniste
(Caligari vient de sortir, Mabuse est en cours de tournage, Murnau
réfléchit), Ernst Lubitsch s'éloigne de Berlin et tourne en
Bavière une film de montagne – avec de la vraie neige – alors
qu'il aurait pu continuer ses films en costumes au chic rutilant. Les
Filles de Kohlhiesel n'est pas encore les films de montagne dans
lesquels jouera la jeune Leni Riefenstahl, pas encore passée chez
les nazis mais valorisant déjà les valeurs traditionnelles
allemandes.
Ernst
Lubitsch prend le contre-pied de l'esprit germanique en offrant à
Henny Porten le double rôle des deux sœurs. L'aînée Liesel au
caractère bien trempée, une hommasse mal dégrossie (ce genre de
personnage sera largement améliorée dans La Chatte des
montagnes) et la cadette Gretel, bonne pâte et coquette. Deux
personnages que tout oppose, dessinées à grands traits sans l'once
d'une finesse dans une volonté de comique primaire et avec des
accents réalistes (d'ailleurs le film est filmé en décors
naturels, y compris les intérieurs – on voit les plafonds de
l'auberge).
Pour
bien montrer les différentes caractères des deux sœurs, il faut
les confronter à une situation similaire. En ouverture ce sera
l'arrivée d'un marchand ambulant qui vient vendre sa camelote.
Gretel veut acheter une broche en toc que le colporteur vend comme de
l'or. Elle doit casser sa tirelire mais n'y arrive pas, il suffisait
pourtant que le vent entre dans sa chambre pour la faire tomber. La
douceur l'emporte sur la force brute, contrairement à Liesel qui
balance son tabouret sur la tronche du marchand.
L'aînée
a été dérangée par l'importun alors qu'elle tirait le lait de ses
vaches. La cadette, ravie de son achat, fanfaronne devant un couple
de vieux qui ne remarque pas sa broche. C'est que le père des deux
frangines, Herr Kohlhiesel (Jakob Tiedkte) doit les marier et le plus
difficile est de trouver un époux à Liesel. Les deux scènes de
l'auberge où Liesel fait peur aux clients montre bien toute les
difficultés qu'a le père pour caser son aînée. Car dès que
Gretel sert la bière, les clients affluent et les affaires
reprennent.
Entrent
en scène deux amis montagnards, Xaver (Emil Jannings) et Seppl
(Gustav von Wangenheim) qui tombent sous le charme de Gretel après
que Liesel leur a servi une bière avec peu de délicatesse (elle
enlève la mousse avec son doigt). Xaver est le premier à déclarer
sa flamme mais le père de la mariée exige d'abord que Liesel soit
mariée pour donner la main de la cadette. Le film s'amuse alors à
ourdir un petit complot où Xaver va épouser la fille pas commode,
elle devrait se lasser et ainsi il pourrait retrouver Gretel.
Evidemment,
à peu près rien ne se passe comme dans ce plan assez peu savamment
manigancé. La mise en scène d'Ernst Lubitsch se concentre sur le
double (on voit d'ailleurs l'actrice jouer les deux sœurs dans un
même plan deux fois). Première scène sur un mode outrancier
(Leisel mange ses patates à même la gamelle) puis il inverse la
donne (Leisel prépare un bon repas à Xaver). C'est une manière
simple bien qu'un peu grossière de faire du comique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire