Des
split-screens à n'en plus finir, le cadre coupé, trituré, rapiécé,
ça ne semble jamais s'arrêter, finalement c'est très osé, en 1968
ça devait l'être encore plus que maintenant, mais il demeure une
beauté dans ces plans que Richard Fleischer applique dans
L'Etrangleur de Boston. Il donne au spectateur un regard
biaisé, il obstrue le regard sans qu'on sache à qui appartient ces
plans subjectifs ou objectifs. A vrai dire on sait pertinemment que
Tony Curtis est cet étrangleur de Boston, son nom est en tête du
générique mais l'acteur comme son personnage ne viendra qu'au bout
d'une heure de récit. Même si on devine dès le premier meurtre
qu'il est là, avec ses bottes et sa veste kaki.
Avant
cela, avant cette arrivée absolument pas fracassante, ce serait même
l'inverse, il débarque dans le récit avec un certaine catatonie, le
plus éloigné que possible des psychopathes, des tueurs compulsifs,
des assassins maniaques que l'on puisse imaginer. L'étrangleur est
tellement hors des sentiers battus par la psychologie dans les films
de Richard Fleischer, entre Assassin sans visage, le visage
rond de Richard Attenborough et le suspense de Terreur aveugle,
l'étrangleur est un type qui entend se fondre dans la nature ou la
ville. Ici Boston à la fin de 1963, et déjà la mort de Kennedy en
écho de la dégénérescence des USA.
Ainsi
avant que Tony Curtis ne vienne à l'image, ce sont deux enquêteurs
qui traversent toute la ville en manque d'indices. D'un côté, un
flic ni jeune ni vieux, DiNatale (George Kennedy) mais plutôt las,
il s'égare dans ses pistes qui ne le mènent nulle part. D'un autre
côté, yb flic plus expérimenté Bottomly (Henry Fonda) est
commissionné par le procureur du Massachusetts pour diriger l'équipe
d'inspecteurs (on voit James Brolin, jeune flic au langage fleuri, au
mot insultant, comme une trace du mépris de la police pour tout ce
qui ne semble pas rester dans les rangs de sa normalité – en ce
sens, la police de L'Etrangleur de Boston est à l'opposé
absolu de la douce rudesse de celle des Flics ne dorment pas la
nuit).
Les
errements des deux enquêteurs créent ce morcellement du récit
précisément appuyé par les split-screens. L'accumulation des
fausses pistes tandis que le nombre de victimes ne cesse de grandir,
de tout âge (d'abord des vieilles dames puis des étudiantes), de
toute condition et de toute origine. Il y a quelque chose de très
beau à voir un cinéaste ne pas céder à l'académisme du polar, à
faire du sur-place narratif et à faire des digressions comiques
(l'arrivée du medium est à ce titre un summum d'humour noir). La
maîtrise absolue de Richard Fleischer fait passer ce sur-place pour
du suspense tout en sachant pertinemment que tant qu'on n'a pas vu
Tony Curtis c'est qu'ils sont sur une fausse piste, on s'en amuse, on
s'en délecte, on jouit de ces crimes.
Là
est la puissance négative du film, espérer encore et encore au fil
de cette première heure qu'il ne sera pas trouvé. Quand enfin il
est dans son salon en famille à regarder les funérailles nationales
de Kennedy, sa banalité est presque décevante, c'est un gentil
papa, un petit plombier sans histoire. Impossible pour Bottomly de le
trouver, avec ou sans médium, avec ou sans interrogatoire des
« pervers » de Boston (scène dans un café gay, un type
qui se prend pour Othello, deux lesbiennes vindicatives). Jusqu'à
ces scènes géniales où Tony Curtis, méconnaissable, déploie une
incarnation explosive et douce du serial killer. Ces split-screens
sont les miroirs de sa personnalité explosée. En matière de
miroir, le finale offre des plans magnifiques, pas de split-screens
dans ces plans et pourtant ils sont coupés en deux comme la
personnalité de cet étrangleur de Boston.
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