mercredi 20 mars 2019

M (Yolande Zauberman, 2018)


D'emblée on est immergé dans une langue que l'on n'entend jamais au cinéma, le yiddish. Plus que le langage où des sonorités allemandes, un son guttural et une scansion au rythme chantant, c'est un univers que Yolande Zauberman fait découvrir. Si l'on prête attention à ce que dit Menahem Lang (le M du titre, c'est lui), on entend un mot particulier pour traduire transexuel, le mot coccinelle. Etonnant qu'une langue figée comme le yiddish soit allé chercher le surnom de la première transexuelle connue, l'artiste française Coccinelle.

Menahem vit la nuit, chante torse nu au bord de la plage, il est cantor comme il est dit en début du film, il est aussi un peu acteur, c'est comme cela que Yolande Zauberman l'a connu. Elle aussi parle yiddish mais n’apparaît jamais à l'écran, on écoute leur conversation. Elle confesse que ce qui l'a fasciné dans Kedma d'Amos Gitaï (quand elle vu Menahem pour la première fois) est sa capacité à si bien parler yiddish, lui si jeune, il avait 22 ans à l'époque. Elle ne comprenait pas comment cela était possible. M raconte cette possibilité.

M parle de la communauté d'où vient Menahem et comment il en est parti. Il vient d'un des quartiers les plus conservateurs, rétrogrades et intransigeants de Tel Aviv. Comme on est immergé dans la langue, Menahem nous immerge avec ses souvenirs, avec ce passé au sujet duquel il ne peut pas se réconcilier, malgré sa bonne volonté et se sourire si large qui semble déchirer son visage entier. On ne voit que cela à l'écran et Yolande Zauberman, qui a filmé ici presque toute seule avec sa petite caméra, capture ce sourire et comme elle filme ces Hassidim marcher dans leur quartier.

Quinze ans plus tôt, il était au milieu de cette communauté Hassidim avec ses papillotes, son habit traditionnel, son chapeau. Il a tout coupé, tout enlevé, c'est pour cela qu'en début de film, il apparaît pour la première fois au spectateur nu. M va lui faire retourner dans cette communauté, le film va le ramener chez lui. C'est probablement la chose la plus étonnante pour un regard non religieux, c'est cette envie ineffable de Menahem de revenir au sein de sa famille, de retrouver ces traditions ultra-orthodoxes, comme on dit pour tout simplifier.

Car ce qu'on comprend dans la dernière demi-heure est la joie de chanter avec ceux dont il était séparé est plus grande que la liberté acquise en 15 ans sans avoir à respecter la Loi de sa communauté. Là est la surprise du film et de la cinéaste qui tombe des nues quand elle voit Menahem en symbiose avec une assemblée de Juifs orthodoxes. Jamais il n'a jamais eu un sourire aussi grand. Et ce mouvement narratif de la vie du jeune homme est émouvant parce qu'il trouble les habitudes politiques.

Avant cette joie, Menahem parle de ces viols répétés dont il a été victime au sein de sa communauté. Yolande Zauberman au détour d'un cimetière, en pleine nuit – tout le film est nocturne – croise d'autres Hassidim qui ont aussi été violés. Ils en parlent sans détour, là aussi c'est étonnant d'entendre ces mots (en hébreu cette fois), de constater que l'église catholique n'a pas le monopole de la saloperie. Loin s'en faut. Quand Menahem en discute avec son père, il constate, avec effroi, qu'il avait 4 ans quand il a été violé la première fois au bain public.

Autour de Menahem se constitue un petit groupe qui ont subi la même chose et qui en parle face caméra (la plupart du temps) ou dos à caméra. La réalité dépasse largement la fiction. Celui qui refuse d'apparaître à l'écran, qui tire sur sa vapoteuse, explique à Menahem qu'il doit se marier mais qu'il semble plus intéressé par les hommes que les femmes. Désormais, c'est Menahem qui écoute les autres dans un twist que seul le cinéma invente. Comme tous les films relatant des faits réels, on découvrira ce que ce jeune homme d'à peine 20 ans fait désormais de ses journées.

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