D'emblée
on est immergé dans une langue que l'on n'entend jamais au cinéma,
le yiddish. Plus que le langage où des sonorités allemandes, un son
guttural et une scansion au rythme chantant, c'est un univers que
Yolande Zauberman fait découvrir. Si l'on prête attention à ce que
dit Menahem Lang (le M du titre, c'est lui), on entend un mot
particulier pour traduire transexuel, le mot coccinelle.
Etonnant qu'une langue figée comme le yiddish soit allé chercher le
surnom de la première transexuelle connue, l'artiste française
Coccinelle.
Menahem
vit la nuit, chante torse nu au bord de la plage, il est cantor comme
il est dit en début du film, il est aussi un peu acteur, c'est comme
cela que Yolande Zauberman l'a connu. Elle aussi parle yiddish mais
n’apparaît jamais à l'écran, on écoute leur conversation. Elle
confesse que ce qui l'a fasciné dans Kedma d'Amos Gitaï
(quand elle vu Menahem pour la première fois) est sa capacité à si
bien parler yiddish, lui si jeune, il avait 22 ans à l'époque. Elle
ne comprenait pas comment cela était possible. M raconte
cette possibilité.
M
parle de la communauté d'où vient Menahem et comment il en est
parti. Il vient d'un des quartiers les plus conservateurs,
rétrogrades et intransigeants de Tel Aviv. Comme on est immergé
dans la langue, Menahem nous immerge avec ses souvenirs, avec ce
passé au sujet duquel il ne peut pas se réconcilier, malgré sa
bonne volonté et se sourire si large qui semble déchirer son visage
entier. On ne voit que cela à l'écran et Yolande Zauberman, qui a
filmé ici presque toute seule avec sa petite caméra, capture ce
sourire et comme elle filme ces Hassidim marcher dans leur quartier.
Quinze
ans plus tôt, il était au milieu de cette communauté Hassidim avec
ses papillotes, son habit traditionnel, son chapeau. Il a tout coupé,
tout enlevé, c'est pour cela qu'en début de film, il apparaît pour
la première fois au spectateur nu. M va lui faire retourner
dans cette communauté, le film va le ramener chez lui. C'est
probablement la chose la plus étonnante pour un regard non
religieux, c'est cette envie ineffable de Menahem de revenir au sein
de sa famille, de retrouver ces traditions ultra-orthodoxes, comme on
dit pour tout simplifier.
Car
ce qu'on comprend dans la dernière demi-heure est la joie de chanter
avec ceux dont il était séparé est plus grande que la liberté
acquise en 15 ans sans avoir à respecter la Loi de sa communauté.
Là est la surprise du film et de la cinéaste qui tombe des nues
quand elle voit Menahem en symbiose avec une assemblée de Juifs
orthodoxes. Jamais il n'a jamais eu un sourire aussi grand. Et ce
mouvement narratif de la vie du jeune homme est émouvant parce qu'il
trouble les habitudes politiques.
Avant
cette joie, Menahem parle de ces
viols répétés dont il a été victime au sein de sa communauté.
Yolande Zauberman au détour d'un cimetière, en pleine nuit – tout
le film est nocturne – croise d'autres Hassidim qui ont aussi été
violés. Ils en parlent sans détour, là aussi c'est étonnant
d'entendre ces mots (en hébreu cette fois), de constater que
l'église catholique n'a pas le monopole de la saloperie. Loin s'en
faut. Quand Menahem en discute avec son père, il constate, avec
effroi, qu'il avait 4 ans quand il a été violé la première fois
au bain public.
Autour
de Menahem se constitue un petit groupe qui ont subi la même chose
et qui en parle face caméra (la plupart du temps) ou dos à caméra.
La réalité dépasse largement la fiction. Celui qui refuse
d'apparaître à l'écran, qui tire sur sa vapoteuse, explique à
Menahem qu'il doit se marier mais qu'il semble plus intéressé par
les hommes que les femmes. Désormais, c'est Menahem qui écoute les
autres dans un twist que seul le cinéma invente. Comme tous les
films relatant des faits réels, on découvrira ce que ce jeune homme
d'à peine 20 ans fait désormais de ses journées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire