Elle
était toute frêle Mia Farrow, à peine sortie des diableries de
Roman Polanski et pas encore entrée dans les fantasmes de Woody
Allen. Son rôle de Sarah dans Terreur aveugle est le plus physique
de toute sa carrière. A part dans quelques scènes, notamment quand
elle dort, elle est constamment en mouvement jusqu'à finir dans un
champ de boue qui va recouvrir son corps, elle va en être aspergée
dans un ultime tentative de la faire disparaître.
Qui
donc peut bien vouloir du mal à cette frêle Sarah ? Telle est
la question que se pose le spectateur jusqu'à la dernière minute.
Pourtant, ce tueur, l'incarnation de ce Mal, le Evil du titre
original que l'on ne va pas voir (See no evil, tellement plus
frappant que le simple Terreur aveugle), il apparaît de bout
en bout du film. Génie du cinéma, on ne voit que ses bottes de
cow-boy frappées d'une étoile blanche.
Le
mec sort d'un cinéma, il est allé voir un film d'horreur, si on en
croit l'enseigne. Il fait nuit, il divague dans les rues. Il passe
devant des boutiques et tout l'incite à faire le mal, à commettre
des crimes. Des mitraillettes en plastic comme jouets, la télé qui
diffuse un film violet (un Freddie Francis). Plutôt que voir la
critique d'une incitation à la violence à cause des images, il faut
déceler la critique de cette critique naïve, déjà en 1971.
On
ne sait pas qui est ce porteur, on ne verra jamais son visage, à
peine ses mains. Il porte une gourmette qu'il perdra sur le lieu de
ses crimes. Il porte un jeans qu'il fait tenir grâce à une solide
ceinture et un t-shirt blanc. Disons que son aspect vestimentaire et
son physique altier le placent plus dans un film américain que dans
le cinéma anglais, comme si ce personnage s'était échappé du
Texas et s'était retrouvé dans la campagne anglaise.
On
ne saura jamais vraiment pourquoi il tue l'oncle, la tante et Sandy
la cousine de Sarah. Ils vivent tous dans une immense maison à la
campagne, maison qui jure tout à fait avec ce début urbain et
nocturne. La vie à la campagne est paisible, la maison est spacieuse
et Sarah reprend ses repères, traversant les grandes pièces et
touchant les nombreux bibelots sur les meubles, montant les escaliers
et passant à travers les couloirs.
L'aisance
avec laquelle le jeune femme se déplace permet au spectateur de
repérer lui aussi les lieux, d'apprendre tout de cette architecture.
Car plus tard, il faudra subtilement observer comment Richard
Fleischer place sa caméra pour adopter le point de vue aveugle et ne
montrer qu'une partie des lieux pour ensuite révéler l'ampleur du
drame. C'est-à-dire le meurtre de la famille de Sarah mais aussi
celui du jardinier.
C'est
cette matière cachée qui rend le film si prenant. On devine que
tout le monde est mort, on sait que la jeune femme aveugle ne peut
pas les voir et ce jeu entre le visible (la gourmette, le verre cassé
dans la cuisine) et l'invisible (la maison est vide de ses habitants)
devient la clé du suspense plus que de savoir qui a commis tout
cela, car à vrai dire on s'en fout et la fausse piste lancée dans
le dernier tiers est une pure convention avec laquelle Richard
Fleischer joue allégrement.
Le
paroxysme du suspense dans Terreur aveugle reste cette
dernière partie où Sarah s'enfuit de la maison comme dans un conte
de fée, en l'occurrence un conte de sorcière. Avec son amant Steven
(Norman Eshley), son chevalier servant, elle part à cheval pour se
perdre en forêt comme une petite fille, elle quitte cette maison si
propre mais devenue si sale et doit à son tour se lover dans la
fange et la boue pour récupérer cette humanité perdue, dans un
paradoxal retour à la vie.
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