mardi 5 mars 2019

Terreur aveugle (Richard Fleischer, 1971)

Elle était toute frêle Mia Farrow, à peine sortie des diableries de Roman Polanski et pas encore entrée dans les fantasmes de Woody Allen. Son rôle de Sarah dans Terreur aveugle est le plus physique de toute sa carrière. A part dans quelques scènes, notamment quand elle dort, elle est constamment en mouvement jusqu'à finir dans un champ de boue qui va recouvrir son corps, elle va en être aspergée dans un ultime tentative de la faire disparaître.

Qui donc peut bien vouloir du mal à cette frêle Sarah ? Telle est la question que se pose le spectateur jusqu'à la dernière minute. Pourtant, ce tueur, l'incarnation de ce Mal, le Evil du titre original que l'on ne va pas voir (See no evil, tellement plus frappant que le simple Terreur aveugle), il apparaît de bout en bout du film. Génie du cinéma, on ne voit que ses bottes de cow-boy frappées d'une étoile blanche.

Le mec sort d'un cinéma, il est allé voir un film d'horreur, si on en croit l'enseigne. Il fait nuit, il divague dans les rues. Il passe devant des boutiques et tout l'incite à faire le mal, à commettre des crimes. Des mitraillettes en plastic comme jouets, la télé qui diffuse un film violet (un Freddie Francis). Plutôt que voir la critique d'une incitation à la violence à cause des images, il faut déceler la critique de cette critique naïve, déjà en 1971.

On ne sait pas qui est ce porteur, on ne verra jamais son visage, à peine ses mains. Il porte une gourmette qu'il perdra sur le lieu de ses crimes. Il porte un jeans qu'il fait tenir grâce à une solide ceinture et un t-shirt blanc. Disons que son aspect vestimentaire et son physique altier le placent plus dans un film américain que dans le cinéma anglais, comme si ce personnage s'était échappé du Texas et s'était retrouvé dans la campagne anglaise.

On ne saura jamais vraiment pourquoi il tue l'oncle, la tante et Sandy la cousine de Sarah. Ils vivent tous dans une immense maison à la campagne, maison qui jure tout à fait avec ce début urbain et nocturne. La vie à la campagne est paisible, la maison est spacieuse et Sarah reprend ses repères, traversant les grandes pièces et touchant les nombreux bibelots sur les meubles, montant les escaliers et passant à travers les couloirs.

L'aisance avec laquelle le jeune femme se déplace permet au spectateur de repérer lui aussi les lieux, d'apprendre tout de cette architecture. Car plus tard, il faudra subtilement observer comment Richard Fleischer place sa caméra pour adopter le point de vue aveugle et ne montrer qu'une partie des lieux pour ensuite révéler l'ampleur du drame. C'est-à-dire le meurtre de la famille de Sarah mais aussi celui du jardinier.

C'est cette matière cachée qui rend le film si prenant. On devine que tout le monde est mort, on sait que la jeune femme aveugle ne peut pas les voir et ce jeu entre le visible (la gourmette, le verre cassé dans la cuisine) et l'invisible (la maison est vide de ses habitants) devient la clé du suspense plus que de savoir qui a commis tout cela, car à vrai dire on s'en fout et la fausse piste lancée dans le dernier tiers est une pure convention avec laquelle Richard Fleischer joue allégrement.


Le paroxysme du suspense dans Terreur aveugle reste cette dernière partie où Sarah s'enfuit de la maison comme dans un conte de fée, en l'occurrence un conte de sorcière. Avec son amant Steven (Norman Eshley), son chevalier servant, elle part à cheval pour se perdre en forêt comme une petite fille, elle quitte cette maison si propre mais devenue si sale et doit à son tour se lover dans la fange et la boue pour récupérer cette humanité perdue, dans un paradoxal retour à la vie.

























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