mercredi 6 mars 2019

Salò ou les 120 journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini, 1975)

C'était au cinéma Accatone, dans le Quartier Latin, il y a trou juste 25 ans que j'ai découvert au cinéma, sur grand écran, Salò ou les 120 journées de Sodome. C'était la première fois que je voyais un film de Pasolini, il faut une première fois à tout, et cela a été une séance marquante. La version projetée était celle en français, ce que l'on appelle la version officielle, doublée en français, notamment par Michel Piccoli pour l'un des quatre notables qui instaurent à leurs seize futures victimes un régime de sexualités extrêmes. J'avais lu le livre du Marquis de Sade une dizaine d'années après avoir vu le film, un recueil d'expériences sexuelles racontées par des maquerelles. Les premiers des 120 jours sont écrits, les derniers sont restés à l'état de brouillon.

Quelque chose de mathématique s'est toujours dégagé du film, les chiffres abondent dans tous les sens. 120 jours organisés par 4 notables dégénérés, quatre hommes fin de race persuadés d'être l'aristocratie de l'Italie fasciste moribonde. Les 4 hommes épousent les filles de chacun d'entre eux, dans une variation d'échangisme sexuel. Ils les traiteront plus tard comme de véritables domestiques, elles seront constamment tenues dans la plus stricte nudité quand elles servent les repas. Les 4 notables ont engagé quatre vieilles putes pour raconter leur vie sexuelle trépidante, en tout cas selon leur critère. Chacune d'elles va causer à tour de rôle dans trois parties intitulées Cercle des passions, Cercle de la merde et Cercle du sang.

Ceux qui vont devoir écouter ces récits sont les victimes comme le désigne le générique. Le prologue de Salò ou les 120 journées de Sodome expose la chasse de ces jeunes hommes et femmes, c'est le Vestibule de l'enfer. Ce seront les seules scènes hors de l'immense demeure qui sert de résidence aux vieux vicieux et aux vieilles maquerelles. Mais Pier Paolo Pasolini filme cette chasse en extérieur comme des scènes de guerre dans un ton grisâtre, histoire de bien marquer non seulement la différence avec ses trois films précédents (Décaméron, Contes de Canterbury, 1001 nuits, œuvres colorées) mais aussi pour figurer le crépuscule du fascisme dans cette république fantoche établie à Salò par les ultimes partisans de Mussolini. Les aristocrates sont fiers de leurs captifs. Les captifs se demandent dans quel traquenard ils sont tombés.

Continuons l'énumération des nombre de Salò. 4 chefs, leurs 4 filles, 4 conteuses, 16 victimes composées de 8 garçons et 8 filles, 4 jeunes soldats et 4 aides de camp. Et quelques servantes qui ne viendront jamais dans la demeure, l'une des servantes, une jeune femme noire couchera avec l'un des aides de camp, ce dernier lèvera le poing en signe de résistance dans une nudité totale. C'est cette image qui illustrait l'article des Cahiers du cinéma, un regard fixe vers le spectateur. L'image était en noir et blanc dans la revue de cinéma. Le jeune homme dans le film sera assassiné avec violence quand les quatre maîtres découvrent. Jamais les visages de ces salauds ne paraîtront aussi haineux et fiers de tuer. C'est le lancement de l'extermination de leurs victimes dans un délire de tortures sur des extraits de Carmina Burana (Veris Leta Facies), les plus sinistres. Les scènes de torture sont vues successivement par chacun des maîtres par le petit bout de la lorgnette.

C'est ce sourire devant la souffrance des proies qui crée un certain effroi. Il l'aboutissement de ces trois cercles où les historiennes de la sexualité racontent à ce public soumis leur dépravation, leur dépucelage dès l'enfance, leur viol par des notables, leur prostitution. Ce public passif est assis par terre, sur quelque banc, sur des chaises. Il n'est pas une métaphore du public du film mais son prolongement, obligé d'écouter puis bientôt d'y participer, soumis au bon vouloir des quatre maîtres. Il ne s'agit plus seulement de regarder et d'écouter passivement, son et image comme dirait l'ermite de Rolle, mais d'entrer dans le cadre, de se mettre à nu dans le récit. Cela se fait progressivement. Le cercle des passions a presque un aspect comique dans un contraste entre les tenues de collégiens des auditeurs et les vieilles conteuses qui donnent des leçons ridicules sur la sexualité. Cette première partie est comme un teen movie, certes totalement statique.

Se mettre à nu passe par l'ablation des vêtements des 16 victimes, puis des aides de camp enfin des quatre maîtres. Seuls les quatre petits soldats conservent jusqu'au bout leur étrange accoutrement, petit gilet, pantalon retourné et grosses chaussettes. Dans cette mécanique mathématique, les cercles et les carrés ne peuvent pas se mélanger sauf à de rares exceptions quand le jeune Rino, entièrement nu, regarde droit dans les yeux le Juge, son maître habillé et qu'ils s'embrassent. Il y a dans le regard du garçon un défi comme une soumission que ne manque pas d'intriguer les autres prisonniers de la demeure. Le Juge est persuadé d'avoir réussi à briser sa victime et un semblant de douceur parvient à l'image avant le déchaînement de violence quand tout le monde se rend compte que les carrés ne peuvent rentrer dans des cercles.


Actes de résistance : l'accordéoniste est la seule à ne pas raconter ses bobards aux jeunes gens. Incarnée par Sonia Saviange, elle rejoue son sketch de Femmes femmes de Paul Vecchiali avec Hélène Surgère, étrange greffe. Actes de torture : fouetter les jeunes gens qui doivent se comporter en chiens en hurlant « mange, mange ». Mettre des clous dans de la polenta pour couper la langue d'une victime. Se taire est ainsi un acte de contrer les récits des maquerelles et de lutter contre les coups de fouet des maîtres. A la fin, tandis que le bruit des avions hors champ, ceux des soldats alliés venus renverser les nazis et les fascistes de Salò, deviennent plus insistant dans la bande son, les maîtres détruisent leur preuves, détruisent les corps. Seuls les petits soldats retournent à leur vie d'avant, vont retrouver leur petite amie. Il se saluent gentiment et quittent le film.


































Aucun commentaire: