Une
femme tatouée, les cheveux très courts, circule dans son cybercafé
et dit à ces mecs qui ne veulent pas s’asseoir derrière un
ordinateur que « la clim' n'est pas gratuite ». Il fait
chaud à Singapour et les clients de Mindy (Luna Kwok) viennent se
réfugier là pour ne pas souffrir de la chaleur tropicale. Preuve à
l'appui, ces chambres des ouvriers où ils s'entassent, ils dorment
dans des conditions pas confortables, dans la promiscuité et dans la
moiteur.
C'est
cette atmosphère qui frappe dans les premières minutes des Etendues
imaginaires, cette manière
qu'a le cinéaste de passer d'un lieu à un autre. La chambre sordide
dans ce dortoir de béton inhumain est dans la veine du cinéma
réaliste et sociale. Elle se poursuit avec le travail de ces
ouvriers, harassante et bruyant dans une carrière de sable où tout
est gris, où les machines sont bruyantes. C'est un monde où il ne
fait pas bon vivre.
L'autre
sensibilité ramène aux néons du cinéma de Wong Kar-wai avec ses
couleurs tranchées. C'est moins une référence à l'univers du
cinéaste de Hong Kong, période de As
tears go by aux Anges
déchus qu'un palimpseste de
son cinéma, comme si Mindy ne pouvait vivre que dans un cybercafé
où tout rappelle Wong Kar-wai, où pourraient débarquer Karen Mok
et Takeshi Kaneshiro. Le film a conscience qu'on ne peut plus filmer
ce genre de lieu sans penser à Wong Kar-wai et à ses personnages
déchirés.
La
topographie, l'espace fictionnel, des Etendues
imaginaires passe par ces
extensions parfaitement résumées dans la scène de bord de mer
quand Mindy et Wang (Liu Xiaoyi) prennent un bain. Mindy rêve de
quitter Singapour et de voyager et Wang lui répond que ce sable sur
lequel ils sont allongés vient sans aucun doute d'ailleurs, de
Malaisie, d'Indonésie ou du Cambodge. Mindy voyage ainsi sans bouger
et cela bouleverse sa conception du voyage.
Ce
sable toujours présent à l'image, dans les esprits, dans le travail
de Wang sert à étendre l'île de Singapour, morceau de Chine au
bout de la presqu'île de Malaisie. Le film prolonge cette idée
d'extension, et j'aime toujours ça, par une polyphonie de langues.
On parle plusieurs chinois : mandarin, cantonais et
singapourien, Wang et son collègue Ajit (Ishtiaque Zico) tentent de
causer anglais avec peu de mots, Ajit parle avec ses compatriotes du
Bengladesh leur langue natale.
Mais
quand on ne peut pas parler la même langue, le corps s'exprime à la
place des mots. Cela offre une belle scène de danse dans le camp des
bengalis, Wang s'en donne à cœur joie. Cela donne un massage filmé
au plus près de la nuque de Wang par Ajit. Cela donne l'épuisement
du corps de Lok (Peter Yu), seul chez lui dans son immense maison, il
se met entièrement nu et court sur un tapis de course. Le cinéaste
prend un évident plaisir à filmer ces hommes et leurs gestes.
Ce
Lok est un policier qui enquête sur une double disparition, celle de
Wang et celle de Ajit. En toute logique, le récit les fait cohabiter
dans l'esprit les unes des autres, donnant à cette idée d'étendues
imaginaires une variation sur l'onirisme. Ce qui se produit sous nos
yeux est dans l'idée du remplacement de Bill Pullman par Balthazar
Getty. Lok dans Lost highway se
met à la place de Wang puis Wang se met à la place de Lok, chacun
imagine la vie de l'autre.
Longtemps,
le cinéma de Singapour a été personnifié par Eric Khoo, plus
timidement par Royston Tan, c'était au début du siècle.
Aujourd'hui, Yeo Siew Hua est un nouveau visage du cinéma de
Singapour. Son film souffre ici ou là de quelques scories typiques
des premiers films comme du cinéma indépendant (on se regarde
filmer, ce qui parfois donne des plans chichiteux – ah ces chromos
flous - et des scènes et trop longues). Mais je suis partant pour
son deuxième film.
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