Je me rappelle bien la dernière fois
que j'ai vu un film d'Agnès Varda, c'était il y a tout juste 10
jours, ses deux causeries diffusées sur Arte (et toujours visibles
sur le site de la chaîne télé), Varda par Agnès. Une
impression mitigée pour le moins et en entendant les hommages à la
radio (j'ai rien de mieux pour m'informer), je ne peux pas m'empêcher
de trouver les hommages fort convenus et cela est dû à une chose
très simple : ils n'osent pas dire que certains films de la
cinéaste sont d'un ennui mortel – comment pourrait-on, seul Cléo
de 5 à 7 est connu. Mais comment pourrait-il en être autrement
quand elle a fait plus de 50 films en 65 ans. Après tout, on peut
dire la même chose de son alter ego masculin, Jean-Luc Godard
désormais le doyen des cinéastes francophones en activité. Elle a
longtemps été la seule cinéaste femme du cinéma français et elle
avait un génie pour créer de merveilleux et jolis génériques à
ses films – et Dieu sait que je suis sensible aux beaux génériques.
J'aurais plus de mal de dire quel est
le premier film d'Agnès Varda que j'ai vu, sans doute Sans toit
ni loi lors d'un passage télé (décidément, le lieu où j'ai
vu le plus souvent ses films) – c'est Varda qui a découvert
Yolande Moreaux et déjà l'actrice était là dans 7 P, cuis, s
de b en 1984. En revanche, j'ai retrouvé récemment mes livres
de collège et lycée et notamment les pièces de théâtre qui
étaient illustrées par des photos noir & blanc de Varda prises
au Festival d'Avignon, elle avait à peine 20 ans, si on en croit les
dates dans les copyrights. Je n'ai compris que très tard que c'était
la même personne. Depuis j'ai vu presque tout et j'en suis arrivé à
une conclusion très simple et radicale : je n'aime aucune de
ses fictions. Je crois que son premier film La Pointe courte,
prétendu film d'avant Nouvelle Vague, est totalement raté.
Pourtant, elle a fait tourner des gens que j'aime beaucoup, Catherine
Deneuve et Michel Piccoli en tout premier lieu, mais ça marche pas
avec moi.
Plutôt que ses fictions de
longs-métrages – et finalement certains de courts-métrages (Les
Créatures, Le Bonheur, Nausicaä – disponible en
bonus caché dans son coffret intégral – L'Une chante l'autre
pas, Lion's love) pas toujours passionnant et un peu
guindés, largement moins réussis que ses documentaires. Finalement,
ce sont ces courts documentaires que j'aime le plus, là où elle se
laisse aller à la digression, à ce fameux marabout de ficelle qui a
fait sa réputation. Mais il ne faut pas se tromper là encore, cette
légèreté (mettons celle de Mur murs, de Documenteur,
de Uncle Janco) ne doivent rien au hasard. Ces coq-à-l'âne
sont d'une rigueur de construction et d'une portée politique qui
aujourd'hui encore sont importantes (je m'en suis rendu compte l'an
dernier quand j'ai revu Black Panthers). Bizarrement, dans son
film Varda par Agnès, elle évoque peu ses courts-métrages,
certains sont tellement formidables, bourrés d'idées cocasses et
d'inventions formelles comme poétiques.
Mère de famille (Rosalie avec Antoine
Bourseiller, Mathieu avec Jacques Demy), épouse de Jacques Demy,
gardienne du temple des films de son mari de cinéaste, la vie privée
de la cinéaste n'a jamais été absente de ses films, là est sans
doute la plus grande originalité de son œuvre, à la fois sa force
et sa faiblesse. Qu'elle filme sa rue Daguerre dans Paris 14, qu'elle
se filme enceinte et nue (L'Opéra Mouffe), qu'elle filme un
parent (Uncle Janco), son fils (Jane B. par Agnès V. et
son double Kung-fu master), Jacques Demy (Jacquot de
Nantes), ses amis dans le court muet burlesque de Cléo de 5 à
7, qu'elle se souvienne sa propre œuvre (Les Cent et une
nuits, Les Plages d'Agnès, Varda par Agnès), elle
parle toujours d'elle pour parler des autres, inversement et
vice-versa, chaque fois avec sa voix si douce, l'autre moteur
puissant de sa mise en scène. Voilà, la sinologue préférée de
Chris Marker et morte aujourd'hui, elle laisse, comme lui, un chat
dans chaque film, à nous de les retrouver.
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