mardi 12 mars 2019

Ma vie avec John F. Donovan (Xavier Dolan, 2018)


Imaginons un instant que Xavier Dolan n'aie jamais tourné de film, la filmographie de Kit Harington se serait limité à Pompeï ce nanar fulgurant de Paul W. S Anderson, l'homme pour qui rien n'est impossible au cinéma. Le jeune acteur est essentiellement connu et moqué pour être John Snow dans Games of thrones (je ne suis jamais parvenu à regarder plus de deux épisodes) mais désormais il a enfin un rôle à la mesure de ses tablettes abdominales.

La lecture du titre original marque la mort avant la vie (The Death and life of John F. Donovan). Ce n'est pas une facétie de plus de Xavier Dolan mais bien un proposition de cinéma : le travail sur le flash-back, lui qui n'aime rien tant que travailler le temps présent. Jusqu'à présent, le flash-back le plus marquant dans ses films était celui de Mommy quand l'écran réduit à la taille humaine s'ouvrait plus largement pour revenir sur le père (joué par Dolan) du jeune héros.

Ainsi c'est la mort de John F. Donovan le personnage de Kit Harington qui ouvre le film. Une mort qui doit tout à Sunset Boulevard mais raconté à distance, non pas par le mort lui-même, quoiqu'il ne soit pas impossible que ce soit le cas. Cette distance est multiple, lieu : New York et Londres, temps : un acteur à la mode et un jeune qui aimerait l'être, action : deux récits situés à une décennie de distance. Xavier Dolan cherche à s'éloigner de son habituel théâtre.

Ce qui lie ses deux personnages Donovan et le jeune Rupert (Jacob Tremblay) est un secret que ce dernier garde enfoui : des lettres. Pendant des années, l'acteur a écrit au gamin parce que le gamin lui avait envoyé une lettre de fan absolu. Quand ce secret est révélé, cela crée une onde de choc, c'est la partie queer du film, une idée d'histoire d'amour entre l'adulte et l'adolescent, remarquablement bien traitée par Xavier Dolan et sans l'once de fausse pudeur ni esprit scabreux.

Doubles vies et deux mères. Les mères ont toujours été présentes dans le cinéma de Xavier Dolan, Anne Dorval dans son premier film Comment j'ai tué ma mère et Mommy, Nathalie Baye dans Juste la fin du monde sont des mères monstrueuses, envahissantes dans tous les sens du terme, dans la vie de leur fils (toujours des fils chez Dolan) et à l'écran (le gros plan). Dans Ma Vie avec John F. Donovan il atténue la monstruosité de la mère mais il double la figure maternelle.

Une mère naturelle et une mère spirituelle. Susan Sarandon joue celle de John Donovan, jalouse de son fils, Kathy Bates joue l'impresario flamboyante, celle qui fabrique la vie publique, cache la vie sexuelle de son client, sa vie amoureuse avec Will (Chris Zylka). Natalie Portman joue la mère de Rupert et Thandie Newton son institutrice, cette dernière comprend que l'enfant est plus sensible, plus intelligent, plus romanesque que ses camarades. Elle va aider à ce qu'il s'accomplisse.

Cette matière qui compose Ma Vie avec John F. Donovan trouve sa source dans ce que la fiction a de moins noble : le soap opéra. John est une star de la téloche. Pour Xavier Dolan, il s'agit de lui donner des lettres de noblesse, transformer le plomb du romanesque vulgaire en or scénaristique. Il ne sera pas impossible de déceler ici des tournures romanesques faciles, là une fascination pour le corps de Kit Harington, plus loin de l'émotion en cadrant sur le joli visage de Jacob Tremblay.

Mais c'est justement ce qui tombe juste dans ce film, Xavier Dolan se débarrasse de la grande forme (ses précédents hommages à Wong Kar-wai, son romantisme échevelé), il n'adapte pas un auteur à la mode et ne joue plus avec le format de son film. Comme dans Tom à la ferme, il travaille une forme plus modeste, un environnement plus trivial (la série télé, là où sont désormais les acteurs les plus populaires). Résultat des courses, ça vibre avec des tonalités qu'on ne lui connaissait pas, il s'est assagi et ça lui va bien.

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