Imaginons
un instant que Xavier Dolan n'aie jamais tourné de film, la
filmographie de Kit Harington se serait limité à Pompeï ce
nanar fulgurant de Paul W. S Anderson, l'homme pour qui rien n'est
impossible au cinéma. Le jeune acteur est essentiellement connu et
moqué pour être John Snow dans Games of thrones (je ne suis jamais
parvenu à regarder plus de deux épisodes) mais désormais il a
enfin un rôle à la mesure de ses tablettes abdominales.
La
lecture du titre original marque la mort avant la vie (The Death
and life of John F. Donovan). Ce n'est pas une facétie de plus
de Xavier Dolan mais bien un proposition de cinéma : le travail
sur le flash-back, lui qui n'aime rien tant que travailler le temps
présent. Jusqu'à présent, le flash-back le plus marquant dans ses
films était celui de Mommy quand l'écran réduit à la
taille humaine s'ouvrait plus largement pour revenir sur le père
(joué par Dolan) du jeune héros.
Ainsi
c'est la mort de John F. Donovan le personnage de Kit Harington qui
ouvre le film. Une mort qui doit tout à Sunset Boulevard mais
raconté à distance, non pas par le mort lui-même, quoiqu'il ne
soit pas impossible que ce soit le cas. Cette distance est multiple,
lieu : New York et Londres, temps : un acteur à la mode et
un jeune qui aimerait l'être, action : deux récits situés à
une décennie de distance. Xavier Dolan cherche à s'éloigner de son
habituel théâtre.
Ce
qui lie ses deux personnages Donovan et le jeune Rupert (Jacob
Tremblay) est un secret que ce dernier garde enfoui : des
lettres. Pendant des années, l'acteur a écrit au gamin parce que le
gamin lui avait envoyé une lettre de fan absolu. Quand ce secret est
révélé, cela crée une onde de choc, c'est la partie queer du
film, une idée d'histoire d'amour entre l'adulte et l'adolescent,
remarquablement bien traitée par Xavier Dolan et sans l'once de
fausse pudeur ni esprit scabreux.
Doubles
vies et deux mères. Les mères ont toujours été présentes dans le
cinéma de Xavier Dolan, Anne Dorval dans son premier film Comment
j'ai tué ma mère et Mommy, Nathalie Baye dans Juste
la fin du monde sont des mères monstrueuses, envahissantes dans
tous les sens du terme, dans la vie de leur fils (toujours des fils
chez Dolan) et à l'écran (le gros plan). Dans Ma Vie avec John
F. Donovan il atténue la monstruosité de la mère mais il
double la figure maternelle.
Une
mère naturelle et une mère spirituelle. Susan Sarandon joue celle
de John Donovan, jalouse de son fils, Kathy Bates joue l'impresario
flamboyante, celle qui fabrique la vie publique, cache la vie
sexuelle de son client, sa vie amoureuse avec Will (Chris Zylka).
Natalie Portman joue la mère de Rupert et Thandie Newton son
institutrice, cette dernière comprend que l'enfant est plus
sensible, plus intelligent, plus romanesque que ses camarades. Elle
va aider à ce qu'il s'accomplisse.
Cette
matière qui compose Ma Vie avec John F. Donovan trouve sa
source dans ce que la fiction a de moins noble : le soap opéra.
John est une star de la téloche. Pour Xavier Dolan, il s'agit de lui
donner des lettres de noblesse, transformer le plomb du romanesque
vulgaire en or scénaristique. Il ne sera pas impossible de déceler
ici des tournures romanesques faciles, là une fascination pour le
corps de Kit Harington, plus loin de l'émotion en cadrant sur le
joli visage de Jacob Tremblay.
Mais
c'est justement ce qui tombe juste dans ce film, Xavier Dolan se
débarrasse de la grande forme (ses précédents hommages à Wong
Kar-wai, son romantisme échevelé), il n'adapte pas un auteur à la
mode et ne joue plus avec le format de son film. Comme dans Tom à
la ferme, il travaille une forme plus modeste, un environnement
plus trivial (la série télé, là où sont désormais les acteurs
les plus populaires). Résultat des courses, ça vibre avec des
tonalités qu'on ne lui connaissait pas, il s'est assagi et ça lui
va bien.
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