« Bonjour,
moi c'est Emile et elle c'est Caroline », voilà le premier
dialogue au bout de 10 minutes de film que dit Emile (Quentin
Dolmaire) quand il découvre avec sa femme (Louise Chevilotte) le
colosse Yoav (Tom Mercier) qui vient enfin d'ouvrir les yeux. Ce
dernier répond « Je suis Yoav, je n'ai plus rien. » Il
était nu, entièrement nu, dans une baignoire dans un immense
appartement rue de Solférino, dans le même immeuble cossu où
habitent le jeune couple de bourgeois. Voilà pour la fin de l'entrée
en matière singulière et géniale de Synonymes.
Dans
cet immeuble, il a bien fallu que Yoav y entre. C'est caméra adossé
à son corps massif que Nadav Lapid entame son film, les pavés sont
filmés comme dans une abstraction absolue, histoire de dire au
spectateur qui s'apprête en regarder son film « vous aurez des
choses très simples à regarder pendant deux heures, parfois vous
comprendrez, parfois cela restera dans le flou ». C'est ainsi
que ce jeune homme grimpe les escaliers quatre à quatre, se baisse
pour prendre une clé cachée sous d'épais tapis de l'escalier et
pénètre dans cet appartement vide.
C'est
ce vide, ce froid qui l'incitent à se mettre à nu, il sort de son
duvet, il enlève son slip, il entre dans la baignoire, il se douche,
il commence à se masturber. Son regard bovin ne joue pas en sa
faveur, il peut facilement passer pour un demeuré. Quelques secondes
plus tard, il se rend copte qu'on lui a tout volé, il glisse sur le
parquet, il sort dans l'escalier, il frappe aux portes. « Pardon,
s'il vous plaît, on m'a tout volé » gueule-t-il à des portes
fermées avant de retourner dans sa baignoire, de s'y évanouir à
moins qu'il ne meure vraiment comme il le suggère lui-même.
Ce
premier quart d'heure de Synonymes est l'un des plus beaux
moments de cinéma que j'ai pu voir cette année (on n'est que fin
mars) et le film continue sur cette lancée dans un flot ininterrompu
de fulgurances, celle de Yoav à la gestuelle inhabituelle dès qu'il
revient à la vie, ressuscité par Emile qui choisit de se blottir
contre ce corps nu, ce petit Emile si frêle, l'extrême opposé de
Yoav, cet Emile constamment habillé d'un col roulé sous une chemise
aux couleurs. Emile habille Yoav, passe des chemises, lui donne un
t-shirt blanc et un manteau long couleur moutarde.
Ce
premier quart d'heure est d'une sensualité folle et il raconte un
coup de foudre délirant entre Yoav et Emile, un « amour cœur
à cœur » comme le dit ce dernier. Cela passe par Emile qui se
penche sur le corps inanimé pour voir s'il respire. Les cheveux
bouclés de Quentin Dolmaire se mêlent à la peau nue de Tom
Mercier, ainsi filmés par Nadav Lapid, ils semblent en pleine
étreinte. Plus tard, c'est ce que remarquera bien Caroline, verte de
jalousie quand elle les surprendra en train de se fixer (en plan
séquence) pendant qu'ils écoutent ensemble de la musique au casque.
Cet
Emile n'est pas une nouveauté dans le cinéma de Nadav Lapid, il
vient d'un de ses vieux films, le bien nommé La Petite amie
d'Emile, tourné à Tel Aviv en 2006. il commençait avec un
jeune israélien nommé Yoav, nu dans sa cuisine qui apprenait une
liste de synonymes pour faire le fière et séduire Delphine, la
petite amie d'Emile. Emile c'était ce corps absent auquel Yoav comme
Delphine ne cessait de téléphoner. Ils tombaient sur son répondeur.
Largement parlé en français, ce court métrage de 48 minutes est
l'exosquelette de Synonymes.
A
moins qu'il n'en soit par un effet de magie du cinéma la suite de
Synonymes, comme si ce film avec d'autres acteurs, d'autres
corps, d'autres lieux reprenaient 13 ans plus tôt le récit de
Synonymes. Tout est possible dans le cinéma de Nadav Lapid.
De la même manière, Synonymes subit les soubresauts de Why ?,
un autre de ses courts-métrages tourné en 2015 où Yoav, un jeune
soldat de Tsahal regardait au cinéma Théorème de Pasolini.
Synonymes en serait le palimpseste, Yoav serait amoureux
d'Emile mais coucherait avec Caroline.
De
nombreux flash-backs semblent émailler le film, sans que l'on soit
vraiment certains que ce soient de vrais souvenirs d'armée de Yoav
qu'il raconte à Emile afin que ce dernier puisse écrire son roman.
On n'est pas vraiment certain que Yoav travaille réellement à
l'ambassade d'Israël. Car Nadav Lapid dans un geste d'une grande
liberté ne s'encombre pas de liaison entre ses scènes, c'est ce qui
donne un rythme fou au film, mais chaque souvenir conduit à décrire,
par bribes successives, le chaos intérieur de Yoav, ce corps dont on
connaissait chaque détail livre enfin ses secrets.
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