samedi 30 mars 2019

Synonymes (Nadav Lapid, 2019)



« Bonjour, moi c'est Emile et elle c'est Caroline », voilà le premier dialogue au bout de 10 minutes de film que dit Emile (Quentin Dolmaire) quand il découvre avec sa femme (Louise Chevilotte) le colosse Yoav (Tom Mercier) qui vient enfin d'ouvrir les yeux. Ce dernier répond « Je suis Yoav, je n'ai plus rien. » Il était nu, entièrement nu, dans une baignoire dans un immense appartement rue de Solférino, dans le même immeuble cossu où habitent le jeune couple de bourgeois. Voilà pour la fin de l'entrée en matière singulière et géniale de Synonymes.

Dans cet immeuble, il a bien fallu que Yoav y entre. C'est caméra adossé à son corps massif que Nadav Lapid entame son film, les pavés sont filmés comme dans une abstraction absolue, histoire de dire au spectateur qui s'apprête en regarder son film « vous aurez des choses très simples à regarder pendant deux heures, parfois vous comprendrez, parfois cela restera dans le flou ». C'est ainsi que ce jeune homme grimpe les escaliers quatre à quatre, se baisse pour prendre une clé cachée sous d'épais tapis de l'escalier et pénètre dans cet appartement vide.

C'est ce vide, ce froid qui l'incitent à se mettre à nu, il sort de son duvet, il enlève son slip, il entre dans la baignoire, il se douche, il commence à se masturber. Son regard bovin ne joue pas en sa faveur, il peut facilement passer pour un demeuré. Quelques secondes plus tard, il se rend copte qu'on lui a tout volé, il glisse sur le parquet, il sort dans l'escalier, il frappe aux portes. « Pardon, s'il vous plaît, on m'a tout volé » gueule-t-il à des portes fermées avant de retourner dans sa baignoire, de s'y évanouir à moins qu'il ne meure vraiment comme il le suggère lui-même.

Ce premier quart d'heure de Synonymes est l'un des plus beaux moments de cinéma que j'ai pu voir cette année (on n'est que fin mars) et le film continue sur cette lancée dans un flot ininterrompu de fulgurances, celle de Yoav à la gestuelle inhabituelle dès qu'il revient à la vie, ressuscité par Emile qui choisit de se blottir contre ce corps nu, ce petit Emile si frêle, l'extrême opposé de Yoav, cet Emile constamment habillé d'un col roulé sous une chemise aux couleurs. Emile habille Yoav, passe des chemises, lui donne un t-shirt blanc et un manteau long couleur moutarde.

Ce premier quart d'heure est d'une sensualité folle et il raconte un coup de foudre délirant entre Yoav et Emile, un « amour cœur à cœur » comme le dit ce dernier. Cela passe par Emile qui se penche sur le corps inanimé pour voir s'il respire. Les cheveux bouclés de Quentin Dolmaire se mêlent à la peau nue de Tom Mercier, ainsi filmés par Nadav Lapid, ils semblent en pleine étreinte. Plus tard, c'est ce que remarquera bien Caroline, verte de jalousie quand elle les surprendra en train de se fixer (en plan séquence) pendant qu'ils écoutent ensemble de la musique au casque.

Cet Emile n'est pas une nouveauté dans le cinéma de Nadav Lapid, il vient d'un de ses vieux films, le bien nommé La Petite amie d'Emile, tourné à Tel Aviv en 2006. il commençait avec un jeune israélien nommé Yoav, nu dans sa cuisine qui apprenait une liste de synonymes pour faire le fière et séduire Delphine, la petite amie d'Emile. Emile c'était ce corps absent auquel Yoav comme Delphine ne cessait de téléphoner. Ils tombaient sur son répondeur. Largement parlé en français, ce court métrage de 48 minutes est l'exosquelette de Synonymes.

A moins qu'il n'en soit par un effet de magie du cinéma la suite de Synonymes, comme si ce film avec d'autres acteurs, d'autres corps, d'autres lieux reprenaient 13 ans plus tôt le récit de Synonymes. Tout est possible dans le cinéma de Nadav Lapid. De la même manière, Synonymes subit les soubresauts de Why ?, un autre de ses courts-métrages tourné en 2015 où Yoav, un jeune soldat de Tsahal regardait au cinéma Théorème de Pasolini. Synonymes en serait le palimpseste, Yoav serait amoureux d'Emile mais coucherait avec Caroline.

De nombreux flash-backs semblent émailler le film, sans que l'on soit vraiment certains que ce soient de vrais souvenirs d'armée de Yoav qu'il raconte à Emile afin que ce dernier puisse écrire son roman. On n'est pas vraiment certain que Yoav travaille réellement à l'ambassade d'Israël. Car Nadav Lapid dans un geste d'une grande liberté ne s'encombre pas de liaison entre ses scènes, c'est ce qui donne un rythme fou au film, mais chaque souvenir conduit à décrire, par bribes successives, le chaos intérieur de Yoav, ce corps dont on connaissait chaque détail livre enfin ses secrets.








































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