La
première scène des Promesses de l’ombre se passait chez un
coiffeur (Azim's Barber), avec son sens du raccord entre ses films,
David Cronenberg offre un objectif à Eric (Robert Pattinson), il
veut aller se faire coiffer à l’autre bout de la ville, de Wall
Street à cet endroit à l'opposé de New-York où il va se rendre en
limousine. Son garde du corps (Kevin Durand) lui déconseille ce
trajet, le président est en ville et tout est quadrillé. Cosmopolis
suit ce parcours, la plupart du temps à l'intérieur de ce véhicule
où la rumeur, les bruits et les manifestations de la ville sont
inaudibles.
Après
trois films avec Viggo Mortensen, Robert Pattinson endosse le costume
du héros cronenbergien, mâchoire carrée, yeux et cheveux clairs,
grande forme physique, à ne différence près, c'est la première
fois que ce héros est aussi jeune, un jeune loup de la finance,
fondateur d'une start-up, son associé Shiner (Jay Baruchel) est tout
autant juvénile et son trader (Philip Nozuka) encore plus gamin,
habillé en étudiant geek. Ils sont les deux premiers personnages à
faire un bout de chemin avec Eric et à annoncer la banqueroute de
leur boîte (le yuan a chuté).
Cosmopolis
est le film le plus linéaire de David Cronenberg, d'un point A à un
point B, inexorablement, sans bifurcation ni détour, mais comme le
plus grand cinéaste canadien de tous les temps n'aime pas la
simplicité, ses personnages qui grimpent dans la limousine ou ceux
qu'Eric va voir hors du véhicule arrivent sans aucune explication.
Et surtout aucune psychologie, uniquement des dialogues phatiques
qu'Eric écoute sans jamais lever un sourcil, sans jamais exprimer le
moindre sentiment, Robert Pattinson est admirablement dirigé, tout
en froideur.
L'épouse
d'Eric, Elise (Sarah Gadon), est une beauté blonde aussi glaciale
que lui. Ils se rencontreront trois fois, dans un café, une
librairie et enfin devant un théâtre. Comment parvient-il à savoir
où elle se trouve, là est l'un des mystères du film. Tout ce qu'il
trouve à lui dire est qu'il a envie de lui faire l'amour (have
sex). Elle remarque qu'à chaque rencontre, son beau costume bien
repassé perd un accessoire, d'abord ses lunettes noires, puis sa
cravate, enfin sa veste. Elle lui dit qu'il pue les sécrétions
sexuelles, droit dans les yeux, il dément avoir couché avec
d'autres femmes. Evidemment il ment.
Dans
sa limousine, il baise avec Didi (Juliette Binoche, une scène très
courte), puis invite son médecin, le Dr. Ingram à faire son
check-up quotidien, il subit une coloscopie qui semble lui prodiguer
un orgasme (j'ai pensé à la scène de l'implant du pod entre Willem
Dafoe et Jude Law dans eXistenZ), observé par Jane (Emily
Hampshire) qui place sa bouteille d'eau entre ses cuisses, enfin,
dans un appartement, il couche avec Kendra (Patricia McKenzie), sa
deuxième garde du corps. Il demande à recevoir un coup de son
taser, car Eric veut vibrer à nouveau.
Une
émeute a lieu dans New-York, la limousine est entièrement taguée,
défoncée par les manifestants. Leur symbole est le rat, leur slogan
est « un spectre hante le monde ». Deux d'entre eux
débarquent dans le restaurant où il s'apprête à manger avec un
rat dans chaque main. Sur le trottoir, un homme s'immole. Devant le
garage des limousines, Eric se fait entarté par André (Mathieu
Amalric), devant des caméras et photographes. « Ces
limousines, où passent-elles la nuit ? » demande Eric, en
écho avec Holy motors sorti en même temps.
Après
trois titres programmatiques (A history of violence, Les
Promesses de l'ombre, A dangerous method,
tous composés d'un terme annonçant la noirceur), il revient
à un titre composé d'un seul mot, comme Videodrome,
Scanners, eXistenZ, où une entité chapeaute le récit,
ici le Complex (le centre dans les sous-titres), une entité dont on
ne saura jamais rien, mais le garde du corps ne cesse de s'y référer.
L'énigme atteint son paroxysme avec la rencontre entre Eric et Benno
Levin (Paul Giammati). Ce dernier loge dans un taudis situé juste en
face du garage pour limousine.
Benno,
à moins qu'il ne s'appelle Richard Sheets, accueille Eric avec la
ferme intention de le tuer. Eric veut d'abord connaître son vrai
nom, pas son pseudonyme. Benno ne vit pas seulement dans un taudis
rempli d'un bric-à-brac (quand Eric veut pisser, il se rend dans des
chiottes où les excréments tombent à l'étage du dessous). Qui est
vraiment Benno, je ne le saurais vraiment le dire, car au fil du long
dialogue (20 minutes) qui se termine par un plan noir cut, je n'en
arrive qu'à une seule conclusion, Benno est Eric après sa chute, sa
faillite, comme un retour vers le futur.
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