« Arrivo
domani », le télégramme qu'apporte en sautillant le postier
Angelino (Ninetto Davoli) ne comporte que deux mots. Il arrive demain
ce visiteur que joue Terence Stamp, il n'a pas de prénom ni de nom,
il débarque tel un ange habillé tout en blanc, les yeux bleus
perçants, le sourire enjôleur. On l'avait repéré dans une
réception mondaine où il semblait avoir observé cette famille bien
propre sur elle. Ils sont tous assis à table dans leur très grande
demeure d'un quartier bourgeois et tous semblent arrêtés de
stupéfaction à cet annonce que le messager vient de leur donner.
Une bonne famille bourgeoise dont les prénoms seront donnés au
compte goutte.
Le
théorème est le suivant, un inconnu arrive dans une maison, il
séduit chaque membre qui révèle sa personnalité profonde et
détruit ce cadre familial. C'est la petite bonne Emilia (Laura
Betti) le personnage le moins loquace qui se voit effleurer la
première. La fille Odetta (Anne Wiazemsky) aux chandails aux
couleurs chatoyantes, le fils Pietro (Andrés José Cruz Soublette)
petit rouquin puceau, la mère Lucia (Silvana Mangano) oisive et le
père Paolo (Massimo Girotti) patron d'une usine. Le visiteur n'a
rien besoin de faire, il est là, il est le seul à les regarder, à
faire un peu attention à chacun d'eux.
Certes,
les deux enfants ont des amis, on découvre que Odetta a des amies et
sans doute un petit copain, tout comme Pietro a des camarades avec
qui il fait du sport et une copine. La promiscuité entre Pietro et
le visiteur, ils dorment dans la même chambre, crée une proximité.
Le visiteur décide de dormir entièrement nu puis va se glisser dans
le lit du jeune homme. Dans le jardin, le visiteur promène le chien
avec pour seule tenue un short, ce qui aiguise le désir de Lucia,
qui perd son aplomb de grande bourgeoise. Odetta prend des photos de
son père et du visiteur qui prennent le soleil dans le jardin.
Un
beau jour, le messager sautillant revient dans la demeure avec un
nouveau télégramme qu'il remet à Emilia. Le visiteur doit s'en
aller. Au beau milieu de son film, le personnage disparaît du récit.
Chaque personnage, désespéré par ce départ, aura discuté avec le
visiteur, confessant avec peu de mots (le film est très avare de
dialogues) la révélation de leur vraie personnalité, de leur
changement profond, de leur vraie diversité. Le père a une longue
discussion au bord d'un lac avec le visiteur « tu es en train
de tout détruire ». C'est ce que va montrer Pier Paolo
Pasolini dans la deuxième moitié de Théorème.
La
joyeuse Odetta, après avoir regardé les photos prises du visiteur,
tombe dans la catatonie. Le sportif Pietro se lance dans la peinture
abstraite, quitte la maison et aime les hommes. La chaste Lucia prend
sa petite Fiat 500 et tourne en ville à la recherche de clones du
visiteur pour coucher avec eux. Le patron Paolo quitte tout, enlève
ses vêtements en pleine gare et décide de donner son usine à ses
ouvriers. La bonne Emilia a le changement le plus radical, elle
retourne à la ferme de ses vieux parents et devient une ermite
créant des miracles. Théorème est un film sur la foi, l'un
des plus beaux de Pier Paolo Pasolini.
Anne
Wiazemsky est décédée hier, elle n'a qu'un petit rôle, elle
quitte le film au bout d'une heure. Elle est doublée en italien,
comme les autres acteurs. Elle passe son temps à courir dans
Théorème jusqu'à ce qu'elle ne bouge plus coincée dans son
lit, le regard fixe et la main fermée sur elle-même. J'aime
beaucoup Théorème aussi pour la réflexion critique qu'il a
procuré à Serge Daney (Cahiers du cinéma N° 212, mai 1969) qui
commence ainsi « on sait de plus en plus qu'un film ne raconte
jamais autre chose que sa propre genèse (tournage, préparation,
confection », l'un de ses premiers textes théoriques de
cinéfils.
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