En
ouverture de En haut des marches, Paul Vecchiali prend la
précaution, en voix off, de déclarer que son film ne racontera pas
l'histoire de sa mère. Le film lui est dédié, on voit sa photo
dans un camaïeu, image aussitôt substituée par celle de Danielle
Darrieux. Aucun cinéphile n’ignore que Paul Vecchiali est
(maintenant était) le plus grand fan de l’actrice, sa mère de
cinéma. Il donne aussi une clé de lecture pour son film, il
juxtapose des images de Toulon de 1983 (l’année où il tourne son
film), on reconnaît les automobiles de l'époque, avec des images
plus anciennes, dans une teinte sépia qui lie toutes ces photos,
images et plans du film. Mais quand démarre enfin le film, un carton
indique 1963 et enfin Françoise, le personnage de Danielle Darrieux,
débarque du quai de la gare de Toulon.
« Mon
fils, il ne comprend rien à ma peinture, je ne comprends rien à son
cinéma », dit Françoise à un homme (Michel Delahaye)
rencontré dans la rue. « J’ai vu un film qui se passe à
Nantes, c'est moi, c'est Lola », fredonne-t-elle. Jacques Demy
est cité ainsi mais aussi par la présence de Micheline Presle (la
maman de Jacques Perrin dans Peau d'âne que
Danielle Darrieux côtoyait dans Les Demoiselles de
Rochefort, il était en perm' à
Nantes et qui jouait dans L'Etrangleur le
premier film de Paul Vecchiali), en directrice de la galerie
où Françoise expose ses peintures. Dans cette scène finale du
vernissage on croise, Jean-Claude Guiguet, Jean-Claude Biette et Jean
Christophe Bouvet, ses camarades de Diagonale, sa boîte de
production. On reproche à la galeriste d'avoir accepté d'exposer
ces tableaux, avec tout le passé que cela trimbale « il n'y a
pas de fumée sans feu » dit une femme lors du vernissage.
La
résistance et Pétain semblent hanter tous ceux que Françoise
rencontre. Ce policier breton établi à Toulon qui arrête les
derniers terroristes de l’OAS, cette Catherine (Sonia Saviange) qui
pourrait raconter des choses, cet ancien élève (Paul Vecchiali).
Ces souvenirs projetés par le cinéaste par trois moyens, le son
comme un écho (les bombes sur le port de Toulon), les toiles de
Françoise (des fleurs sur le balcon de cette ancienne propriété)
et des reconstitutions légèrement floues de 1940 (comme on dit
qu’un souvenir est flou), on entend entre autres les voix de Pétain
et de Gaulle. Françoise croise Rose (Gisèle Pascal) et sa fille
Michelle avocate (Françoise Lebrun), cette dernière circule dans
une prison illusoire où Françoise s'est enfermée depuis des années
se sentant coupable de la mort de Charles son époux. Françoise
évoque les actrices Renée Saint Cyr et Viviane Romance dans Prisons
de femmes de Roger Richebé.
« Tu
as toujours eu le goût du malheur » lui dit Suzanne (Hélène
Surgère) sa sœur qu’elle n’a pas vu depuis 20 ans. A son
arrivée à Toulon, Françoise a bien cherché à éviter cette sœur,
à fuir la confrontation, le dialogue. Il y a quelque chose de
presque burlesque à l'escamotage de cette rencontre qui n'aura lieu
qu'en fin de film. Paul Vecchiali filme Danielle Darrieux avec
toujours le même petit tailleur bleu et la plonge dans ses souvenirs
sans qu'il ne soit nécessaire de simuler un rajeunissement de
l'actrice. Son mariage avec Charles, la quête de la libération de
son mari quand les gaullistes libèrent Toulon, la mort de cet époux
assassiné à la mitraillette devant cette fameuse maison où elle ne
cesse de revenir, de passer devant, cette maison qu'elle a peinte
maintes fois tel un souvenir indélébile.
En
haut des marches est entièrement centré sur Danielle Darrieux,
elle est de toutes les scènes, elle chante plusieurs chansons, Paul
Vecchiali la filme en gros plans (il utilise parfois le zoom pour
passer, lors de la longue conversation avec sa sœur Hélène
Surgère, d'un cadre où elles sont côte à côte à un gros plan
sur Danielle Darrieux). C'est autant un chant d’amour à son
actrice préférée, qu'à sa mère, qu'à sa ville. Le film n’est
pas toujours simple à suivre, le pouvoir de suggestion à l'œuvre
par le cinéaste frise parfois l’abstraction mais il est une des
rares fictions à parler de la collaboration (et sur un ton
radicalement différent que Papy fait de la résistance sorti
en même temps) et des Juifs, tout comme Alain Resnais était alors
le seul cinéaste français à en parler 25 ans plus tôt.
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