Rien
ne semblait présager la réussite de ce film de Tonie Marshall.
Certes, l’entreprise, elle en a un peu tâté, c'était Vénus
beauté (vous vous rappelez la soirée des César où tout le
monde remerciait Claude Berri, elle compris mais avec sarcasme, le
pape du cinéma français était boudé en cette année 2000 qui
célébrait ce film modeste) Après Vénus beauté, la
cinéaste n’a plus rien fait de bon, s'enfonçant même dans le
tristement anecdotique et l’insipide. Pourtant tout avait bien
commencé, une efficace comédie d’espionnage avec Antoine de
Caunes, Pentimento, elle avait su dompter Anémone dans Pas
très catholique puis Enfants de salaud. Comment ne
pourrait on pas avoir une immense sympathie pour cette ancienne de
Merci Bernard, des Sous-doués et dont la maman est Micheline
Presles, qui n'apparaît pas dans Numéro une.
Avec
le personnage d’Emmanuelle (Emmanuelle Devos, garde son prénom),
on s'éloigne très vite de celui de Céline Salette dans Corporate,
l’autre femme cadre supérieure en tailleur noir du cinéma
français de cette année. Et pour une fois, la famille n'est pas un
chantage narratif, elle a peu de place dans les rebondissements du
récit. Les rapports d’Emmanuelle avec Garry son époux anglais (on
remarque plus loin dans le film qu’elle a conservé son nom de
jeune fille, selon l’expression consacrée, son père hospitalisé
est d'ailleurs joué par Sami Frey, chœur antique qui la juge et la
conseille) sont simplifiés au maximum sans atteindre l’oubli total
des conjoints comme dans Spotlight, certes ils auront quelques
moments pénibles au cours du parcours de notre héroïne mais sans
que les habituels écueils ne viennent envahir la dure loi du marché.
Emmanuelle
doit conclure un contrat avec des clients Chinois. Ce sont les scènes
les plus drôles, il faut voir comment elle se moque de son pédégé
quand il trinque « là vous dites santé en japonais »,
comment elle se trouve coincée sur une plate-forme, chante en
mandarin, rit et plaisante avec eux, et il faut voir au fil des
séquences les tronches déconfites des hommes. Ce sera la même tête
qu'elle fera quand on lui annonce le nom de l'homme pressenti au
poste qu'elle destine à son collaborateur, quand on lui conseille
d'arrêter d'être aussi joviale avec les Chinois, comprendre :
se comporter comme une pin-up. Ces rapports hommes femmes dans les
hautes sphères de l'entreprise sont désignés avec calme, précision
et dignité ce qui en augmente leur portée (et j'imagine que au sein
de l'industrie du cinéma français, ça ne doit pas être très
différent pour la cinéaste).
L'autre
versant du scénario est la lutte pour devenir la première cheffe
d'entreprise du CAC 40. Emmanuelle est soutenue par un comité de
consœurs féministes. Il est porté par le trio Francine Bergé,
Suzanne Clément (décidément très présente ce mois-ci), Anne
Azoulay. Elles vont batailler en coulisses (car le film le dit
parfaitement bien, le pouvoir se fait hors champ, les négociations
en secret, les accords en catimini) contre Richard Berry (en vieux
beau, éminence grise du pouvoir, est le meilleur second rôle du
film), Benjamin Biolay et Bernard Verley. Cette ascension vers le
pouvoir n'est pas sans rappeler celle de Chez nous de Lucas
Belvaux, sauf que ce dernier enfonçait au marteau-piqueur sa
dénonciation, Tonie Marshall décortique le système avec un sourire
narquois. Evidemment, Emmanuelle Devos est formidable (tautologie) et
ressemble souvent, quand elle fume ses cigarettes fines, à Catherine
Deneuve, la reine du CAC 40 des actrices.
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