Les
six premiers mois de 2016, j'ai regardé pas mal de films de Paul
Verhoeven en me demandant (et certains de mes amis me l'ont demandé
aussi) si je comptais voir à nouveau Showgirls. J'aime
beaucoup Paul Verhoeven, j'admire certains de ses films mais je
trouve Showgirls épouvantablement médiocre, et ce depuis sa
sortie. Je ne l'avais jamais revu depuis. Le film, grâce à Pathé,
vient de sortir en salles et en DVD, restauration 4K. Je me suis
enfin décidé à le regarder en DVD, chez moi, tranquillement. C'est
parti pour 2h06 de Showgirls et à la fin, j'ai le même avis
qu'en 1996.
En
revanche, par un retournement de tendance assez rare, on ne trouve
plus grand monde aujourd'hui pour trouver des défauts au film.
Relire les critiques de 1996 et celles de maintenant, c'est
finalement très amusant. Télérama sort les arguments donnés par
le cinéaste dans le bonus du DVD : l'hyperbole du ton et le jeu
staccato de l'actrice, Jean-François Rauger dans Le Monde regrette
de n'avoir pas vu alors la critique de Las Vegas, les Cahiers du
cinéma ne parlent plus de vulgarité, le film est même tout le
contraire. Ben voyons. Certes, tout le monde a droit à la contrition
et au mea culpa.
La
réhabilitation de Showgirls a commencé en 1998 avec un
entretien de Jacques Rivette dans Les Inrockuptibles où le cinéaste
clamait le génie de Showgirls, l'excellence du jeu
d'Elizabeth Berkley (dans ce même article, il traite Spielberg et
John Woo d'ordures, passons, ce sont ses goûts conformes à une
époque et à une mode). Rivette compare Showgirls à La
Règle du jeu et Starship troopers à La Grande
illusion dans un rapprochement approximatif justifiant un
demi-siècle de politique des auteurs. Et Paul Verhoeven est un
auteur mais je considère aussi qu'il a le droit de rater ses films,
tel Showgirls ou dans une moindre mesure Basic instinct
ou Hollow man.
Plutôt
qu'argumenter sur l'éventuelle caractère hyperbolique du film, on
pourrait tout simplement dire que Nomi Malone (Elizabeth Berkley) est
une féministe. Ne tend-elle pas un couteau dès l'ouverture du film
pour garder sa dignité quand elle se fait prendre en stop par ce
jeune gars fan d'Elvis ? (même mec qui l’emmènera en fin de
film vers Hollywood pour une nouvelle aventure). Un film féministe
sur la condition des femmes à Las Vegas dans les clubs de
strip-tease et autres shows et qui montrerait les luttes de pouvoir.
Nomi est-elle une grande naïve qui va se faire croquer par Las Vegas
ou une vénale ambitieuse comme le suggère la fin ?
Le
vrai nœud du problème est pour moi de savoir si Nomi manipule son
monde non. Et le souci est que Paul Verhoeven demande à l'actrice un
jeu ultra impulsif qui contredit presque instantanément ses
répliques. Elle s'engueule en deux secondes avec les gens qui
veulent lui faire confiance et la faire travailler, abandonne son
poste à la moindre contrariété, ne suit aucun conseil (mange du
riz brun et des légumes) et trahit ses rares amis. Même à grands
coups d'hyperbole, le récit est sacrément difficile à croire et la
cruauté de Las Vegas largement moins démontrée contrairement à
Casino et Mars attacks pour ne parler que de deux films
sortis en même temps que Showgirls.
De
quoi la mèche de Zack (Kyle MacLachlan) est-elle le nom ? Son
appendice capillaire est l'un des éléments les plus étranges et
inexplicables du film. Les cheveux des danseuses des deux shows, le
minable club de strip-tease et celui de Goddess sont tous faux,
perruques de couleurs variées (blonde Marilyn M., rousse Rita H.,
brune Louise B.) et Paul Verhoeven filme avec intérêt ces longues
séances de maquillages, d'enfilage de perruques, d'aller et retour
dans les coulisses où les danseuses enlèvent en vitesse les cheveux
pour en mettre d'autres sous la férule de Gay (Michelle Johnston),
la chorégraphe. Il filme l'envers du décor sans aucune ambiguïté,
sans amorcer le moindre soupçon de simulacre.
Quand
elles dansent, avec leur gestes extrêmement saccadés, sur une
musique entraînante et sous une lumière aveuglante, les filles, les
perruques des filles, surtout celles de Cristal (Gina Gershon) et
Nomi, partent dans tous les sens, Paul Verhoeven s'attarde sur ce
détail a priori insignifiant mais qu'il faut rapprocher de la mèche
rebelle et ridicule sur le front de Kyle MacLachlan. Quand Cristal
offre à Zack un lap dance orgasmique dans le club de strip-tease,
son premier geste est de remettre sa mèche en place, tel Samson qui
en tirerait sa force. A l'opposé, dans la scène de piscine où Nomi
est sous les jets des dauphins fontaine, elle prend le contrôle de
la situation.
Dominer
la situation, voilà ce que cherche Nomi Malone. Quatre personnages
tournent autour d'elle. Zack et Cristal ont des rapports de strictes
domination sexuelle. Ce qui prévaut dans le jeu de Gina Gershon,
c'est son calme absolu, son visage stoïque, ses mouvements calmes
alors qu'Elizabeth Berkley est une pile électrique, constamment en
mouvement. Leur bouches respectives, ouverte pour Gina fermée pour
Elizabeth, accentuent la métaphore sexuelle, jusqu'à ce que Nomi
fasse perdre son sourire à Cristal en la détruisant, en la poussant
dans l'escalier. Elle n'est donc pas victime.
Avec
sa colocataire rencontrée bien par hasard et trop opportunément, la
petite boulotte Molly (Gina Ravera), ce sont des rapports familiaux,
de deux sœurs qui se disent tout et partagent tout. L'ascension
sociale de Nomi laisse songeur, passant d'un club de strip-tease qui
paraissait sordide, mais s'avère bien familial, à celui de Zack et
Cristal où règne le tout business – sans qu'on ne parle jamais
pognon par ailleurs. La joviale et enrobée Henrietta (Lin Tucci) et
le boss Al (Robert Davi) semblent bien gentils comparés aux patrons
et dirigeants tout sourires et faux cul, mais ce retournement de
point de vue est un peu forcé et hypocrite.
Le
dernier personnage a graviter autour de Nomi est James Smith (Glenn
Plummer), jeune chorégraphe qui entend aider, malgré elle, malgré
ses réticences, Nomi à garder sa dignité et à devenir une vraie
danseuse, c'est-à-dire pas un strip-teaseuse ni une danseuse topless
dans un casino. Le personnage de Smith ne fonctionne que par défaut,
ab absurdo, sans qu'il ne révèle quoi que ce soit de la
personnalité de Nomi. On pourrait même penser que Paul Verhoeven ne
l'a inclus que pour filmer cette scène où il met sa main dans sa
culotte quand elle a ses règles, histoire de choquer à bon compte
l'Américain de base.
Si
je déclinais Showgirls dans la filmographie de Paul
Verhoeven, je dirais qu'il ressemble à Spetters, sauf que
dans Spetters, le point de vue est triple, celui des 3 gars
frustrés et pas celui de la fille arriviste. De plus Spetters
se situe dans une Hollande encore rétrograde et contre laquelle les
3 héros luttent. Showgirls est le film le plus linéaire de
Paul Verhoeven, aucun effet narratif, pas de flashback comme dans
Starship troopers ou Black book, pas de débuts
oniriques et fantasmatiques comme dans Turkish delight ou Le
Quatrième homme, pas de vision subjective et amnésique comme
dans Robocop ou Total recall.
Rien qui ne permet une double lecture, d'avoir plusieurs
points de vue, non Showgirls est un film au premier degré,
filmé au premier degré et destiné à être vu ainsi, un film
terriblement banal.
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