« Qu'est-ce
que c'est que cette histoire Monsieur Coutard ? », demande
une voix dans Passion.
Raoul Coutard, le chef opérateur de Jean-Luc Godard, répond,
également hors champ. « Ya pas d'histoire. Tout est
correctement éclairé, de gauche à droite, un peu de haut en bas,
un peu d'avant en arrière. Ce n'est pas une ronde de nuit mais une
ronde de jour éclairée par un soleil déjà bas sur l'horizon. »
Raoul Coutard est décédé le 8 novembre, si j'ai tant tardé pour
lui rendre un hommage, c'est parce que j'étais absent un certain
temps, loin de mes DVD et aussi parce que je ne savais pas quel film
choisir parmi les 14 films faits avec Godard.
En
1982, avec Passion
il revenait travailler en Suisse dans un film qui est (nouvelle)
vaguement le double inversé du Mépris,
l'autre chef d’œuvre entre Coutard et Godard (ça rime). 20 ans
plus tard, Michel Piccoli revient, Capri c'est fini pour lui, l'été
c'était l'Italie, dans le canton de Vaud, c'est l'hiver et il est
patron d'une usine. Pas loin de là, Jerzy Radziwilowicz tourne un
film. Ce n'est pas Fritz Lang qui avait fui l'Allemagne nazie et qui
tournait une adaptation de l'Odyssée, c'est un cinéaste polonais
qui fuit Jaruzelski et qui tourne un film sur les peintures de
Rembrandt. Passion
c'est un film sur la lumière et sur le clair obscur.
La
classe ouvrière bégaye et le patronat tousse, avais-je lu dans les
Cahiers du cinéma au sujet du film. Isabelle Huppert ne fait pas que
bégayer, elle joue aussi de l'harmonica, elle s'accroche à la vitre
de la voiture de Jerzy pour discuter, elle veut voir le tournage de
ce film, elle veut se battre contre son patron. Derrière sa parole
saccadée, les voitures klaxonnent, le son, comme toujours chez
Jean-Luc Godard, est polymorphe, assourdissant, bruyant, rebelle,
soudain absent, la musique classique prend elle dessus puis elle est
remplacée par des sons. Comme l'image, ça va de gauche à droite,
de haut en bas et d'avant en arrière, c'est toujours surprenant et
étonnant.
Le
sujet de Passion
n'est pas vraiment le son, mais la lumière, normal que Godard
rappelle Coutard 17 ans après. D'abord le ciel nuageux transpercé
par la fumée d'un avion, puis la Suisse rurale où les plans larges
extérieurs succèdent abruptement aux gros plans des visages.
Isabelle est sous une lampe d'intérieur (« mange ta soupe
pépé ») qu'elle soulève pour mieux éclairer la pièce. Mais
ce sont les reconstitutions des tableaux et des peintures qui
fascinent le plus, filmées en studio, dans un décor volontairement
faux, les acteurs traversent le cadre et aident les figurantes à
enlever leur vêtements pour prendre la pose.
Michel
Piccoli, Isabelle Huppert, Jerzy Radziwilowicz sont au centre du
récit, encore à peu près élaboré et narratif, de ce tournage de
film (ou plutôt de téléfilm, on est déjà dans les années 1980).
Autour tournent une galaxie de personnages, Laszlo Szabo en
producteur un peu fou, exigeant et impatient (l'équivalent de Jack
Palance dans Le Mépris),
Hanna Schygulla en actrice qui ne supporte pas de ce voir à l'écran,
en l'occurrence sur une petite télé, Jean-François Stévenin en
assistant de Jerzy, et aussi une contorsionniste très souple, des
ouvrières et Raoul Coutard qui règle ses lumières le temps d'un
plan.
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