Deux
histoires largement improvisées, la nuit (Brigitte Lin et Takeshi
Kaneshiro) et le jour (Faye Wong et Tony Leung Chiu-wai), les hommes
sont des policiers et viennent tous les jours manger au restaurant
d’un quartier populaire que tient Piggy Chan qui vante toujours les
qualités de ses serveuses aux garçons célibataires (en tout bien
tout honneur). Ils viennent manger là tous les jours et la voix off
de Kaneshiro indique que dans quelques heures il va tomber amoureux
de Brigitte Lin puis celle de Faye Wong avertit qu’elle va tomber
amoureuse de Tony Leung Chiu-wai.
Le
récit ne sera donc pas la force première de Chungking
Express puisque même les
protagonistes annoncent ce qu’il va se passer. L’important c’est
les images, les plans, les clichés, d’aller vite quitte à ne rien
raconter. Le film est constitué d’une suite de détails qui
forment la psychologie des personnages, dans une idée de scénario
impressionniste. Le problème majeur du film est de se rappeler tous
ces détails pour en avoir une vision globale. L’aspect visuel dans
la scène d’ouverture où Takeshi Kaenshiro court après quelqu’un,
dans un accéléré ralenti, accentue cet aspect impressionniste avec
ses touches de couleurs bleues.
Brigitte
Lin est blonde aux cheveux longs, lunettes de soleil constamment sur
le nez. Elle organise un trafic de cocaïne avec des Indiens comme
mulets. Ils la planteront à l’aéroport. Valerie Chow est l’ex
de Tony Leung Chiu-wai. Elle est hôtesse de l’air. Dans l’appart
de Leung, ils jouent ensemble à des jeux sensuels où il fait
atterrir sur le dos nu de sa copine des avions miniatures. Faye Wong
est brune aux cheveux courts, lunettes de soleil qui tombent sur son
nez. Elle lance des petits regards furtifs sur Leung. Elle passe ses
journées à écouter dans le restau California Dreamin’ à fond.
Elle rêve de partir en Californie et va devenir hôtesse de l’air.
Tout cela forme une allusion au désir de quitter Hong Kong alors que
la rétrocession se prépare.
La
musique comme moyen d’évasion est là. A la fin du film, après
avoir entendu des dizaines de fois California Dreamin’, on n’en
peut plus. Brigitte Lin écoute dans le bar de son ex (Christopher
Doyle), toujours la même chanson sur le juke box. Dans le restau, un
Indien se sert d’une carotte comme micro et chante. Les voix off
participent de cette ambiance sonore où chacun exprime ses pensées
en s’inventant un avenir meilleur qui passerait par le sentiment
amoureux. Le personnage de Tony Leung Chiu-wai parle chez lui tout
seul. Il s’adresse à son savon, aux petits avions, aux peluches
qu’il peigne. La parole est libérée mais n’est jamais entendue.
Le
sur-place des personnages est un fait. Leung est souvent assis, en
tenue de flic au resto avec ses collègues, en slip et débardeur
blancs chez lui. Takeshi Kaneshiro aime au contraire courir et attend
de fêter son anniversaire le 1er
mai 1994. Il ne peut pas rester en place et quand il s’amourache de
Brigitte Lin, il balance vers l’inconnu pour abandonner la routine.
Chaque jour, il achète une boîte de conserve d’ananas qu’il
mangera toutes d’un coup, un soir de déprime. Faye Wong a la clé
de l’appartement de Tony Leung. Chaque jour, secrètement, elle va
chez lui et déplace les objets, remplace le vieux savon, nettoie le
sol, ajoute des poissons dans l’aquarium. Tony Leung Chiu-wai ne
s’en apercevra pas, coincé qu’il est dans sa vie routinière.
Le
mouvement et la vitesse sont les marques de fabrique de Wong Kar-wai.
Il filme l’ennui de ses personnages, leur alanguissement, leur
petite vie faite de creux. Il développera ces motifs plus encore
dans Les
Cendres du temps son
film de sabres où rien ne se passe, où rien n’évolue, qu'il
tourne en même temps que Chungking
Express. Wong Kar-wai
considère son film comme un repos comparé au tournage épuisant et
complexe des Cendres du temps.
Chungking Express
était le premier film du cinéaste à sortir en France. Tout cela
semble si loin maintenant, c'était il y a plus de 21 ans, quand il
sortait encore des films venus de Hong Kong.
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