Retrouver
Emmanuel Salinger dans un film, et en plus dans un premier rôle,
c'est comme une madeleine à croquer, à dévorer, c'est un souvenir
de ses débuts qui revient quand il était l'acteur des premiers
films d'Arnaud Desplechin (il faudra un jour que je revoie La
Sentinelle, l'un des piliers de ma cinéphilie naissante). En 25
ans, l'acteur a pris des cheveux blancs, mais son étrange regard est
intact, entre étonnement et timidité constantes.
Son
personnage, Georges Korben n'arrive pas immédiatement dans le récit
de Planétarium. Ce sont d'abord les deux sœurs Barlow, Laura
(Natalie Portman) et Kate (Lily-Rose Depp) qui retiennent
l'attention, deux Américaines venues en France, à Paris, en train
de nuit. J'aime beaucoup ces premières images nocturnes du train,
presque oniriques, comme une annonce du programme que l'on va voir,
du fantastique au milieu d'un film français.
Le
film met un peu de temps à démarrer, le prologue me semble
superflu, Laura discute avec Eva (Amira Casar), l'action se situe en
1943 et ne s'avère là que pour lancer le flash-back, quelques
années plus tôt dans une France où les mondanités sont
quotidiennes dans ce milieu que Rebecca Zlotowski filme (loin du
prolétariat de Grand Central), monde artistique, monde du
spectacle, monde cosmopolite, imperméables aux échos extérieurs,
pour l'instant.
Le
spectacle de Kate et Laura est de converser avec les morts, Kate est
spirite. Ses petits yeux clos (on remarque que son sourcil droit est
traversé d'une mèche blanche), la main tenant celle de la personne
qu'elle va sonder, Kate prend sa respiration. Aucun effet spécial
pour ces conversations, plutôt la création d'une ambiance qui va
justement particulièrement marquer Georges Korben. Il invite les
deux sœurs chez lui, elles s'installent, ravies de quitter leur
hôtel.
Passer
d'un spectacle de cabaret, comme elles le font, à un film de cinéma,
Georges envisage de tourner ces séances de spiritisme, n'est pas la
chose la plus simple. Car il faut filmer l'invisible, cette présence
diffuse qu'est la mort. La cinéaste choisit d'en filmer les traces,
le cou penché de Georges lors de sa première séance, les mains qui
glissent sur son corps, puis un souvenir du père de Georges, incarné
par le père de Rebecca Zlotowski.
Georges
Korben est producteur de cinéma et engage son ami Servier (Pierre
Salvadori) pour mettre en scène Laura face à Fernand (Louis Garrel)
un jeune premier. J'écrivais avant-hier au sujet de ce cinéma
français qui parle de travail de manière documentée. Dans
Planétarium, on découvre comment on tournait un film dans
les années 1930, le maquillage, la lumière, les mouvements
d'appareil, le jeu, c'est réellement passionnant et intégré aux
curieuses romances entre les personnages.
Le
film est riche en personnages complexes, en idées artistiques et
esthétiques (superbe lumière claire-obscure qui correspond tout à
fait à cette époque funeste) et aborde habilement les retombées de
l'Histoire sur Laura, Kate et Georges. Rebecca Slotowski filme
l'antisémitisme qui dévore Georges, qui commence à détruire le
cinéma, le spectacle et le rêve. Elle le filme comme un cauchemar
éveillé encore plus terrible que celui de converser avec les morts.
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