J'aime
beaucoup le générique de The Neon demon, musique tonitruante
(comme chaque fois que Nicolas Winding Refn inclut de la musique dans
ce film, ici une sorte de techno minimaliste et sourde), une vitre
qui capte différentes couleurs comme dans le logo de la Shaw
Brothers. Après Dieu et la Thaïlande de Only God forgives,
voici le démon de Los Angeles, tout en oxymore et métaphore filée
(démon anges, Hell Elle Fanning). Voilà de quoi lancer une nouvelle
version, bien scabreuse, bien tarabiscotée, bien sanglante de
Blanche Neige.
Elle
Fanning est donc Jesse, apprentie mannequin de « 19 ans »,
comme lui demande de répondre sa manager (Christian Hendricks, que
l'on ne voit que dans une scène). En vérité, Jesse a 16 ans, elle
débarque de sa Géorgie natale, elle n'a plus ses parents. La scène
d'ouverture, dans un travelling arrière et avant, a montré Jesse
sous toutes les coutures, photographiée par un jeune homme au visage
impassible. Aucun mot ne sera échangé, la musique est de toute
façon trop forte pour laisser la place à des dialogues. Jesse est
allongée sur un divan, des paillettes sur le visage, les bras
ensanglantés.
Passer
de la musique tonitruante avec des mouvements de caméra amples à
une scène de dialogues en champ contre-champ provoque un effet
prononcé de déstabilisation. Tout le film fonctionnera ainsi,
alternant les mouvements sonores et visuels avec les passages plus
calmes. Cette absence de repères installe du mystère entre les
personnages, en tout premier lieu entre Ruby (Jena Malone) et Jesse.
Elles se rencontrent juste après cette première séance de
shooting, Ruby est tout sourire mais ce sourire cache des choses. En
tout cas, on l'espère.
The
Neon demon ne sera pas un film sur le mannequinat, sur la gloire
éphémère ou sur la beauté. S'il l'est, c'est par inadvertance,
par pure conclusion logique de ce que l'on voit. The Neon demon
reprend vraiment cette histoire de sorcière qui décide, par
jalousie, de s'emparer de la beauté fatale d'une jeune femme pure et
vierge. Et cette sorcière est une hydre à trois visages, Ruby la
maquilleuse, Gigi (Bella Heatcote) adepte de la chirurgie et Sarah
(Abbey Lee) dont la beauté se fane.
Le
film est ainsi le récit distancié de l'accaparement de cette
beauté. On sent assez vite que Ruby a un comportement étrange. La
candeur de Jesse dans cet univers est vite déréglée face à Ruby
qui la toise lors des rencontres avec les photographes de mode, qui
la chouchoute quand tout va mal, qui cherche à la séduire. Ruby
encercle sa proie comme une araignée, une veuve noire. D'ailleurs,
dans la vie hors mannequinat, ce ne sont pas les modèles qu'elle
maquille.Et là, Nicolas Winding Refn va jusqu'au bout de la folie de
son personnage.
Pendant
les quelques journées que dure The Neon demon, ou plutôt les
nuits scandées par la pleine lune, Jesse croise plusieurs hommes.
Dean (Karl Glusman), le photographe amateur qui la prend en photo en
début de film, éventuel flirt de Jesse. L'autre photographe Jack
(Desmond Harrington) qui veut être seul avec elle dans une immense
pièce toute blanche (impressionnant sur un grand écran) est bien
plus inquiétant. Mais chacun ne cherche qu'à voler un peu de l'âme
pure de Jesse.
Deux
autres hommes sont aussi étranges que l'hydre Ruby. Keanu Reeves est
le tenancier du motel minable dans lequel Jesse a élu domicile.
Colérique, il demande à Jesse de l'indemniser quand un puma
s'introduit dans sa chambre. Alessandro Nivola joue un mogul de la
création, entre Tom Ford (physiquement et sexuellement) et Meryl
Streep dans Le Diable s'habille en Prada,
véritable deus ex machina de la descente aux enfers de Jesse.
The Neon demon est un film sur l'enfer sur terre d'une princesse
si gentille et innocente.
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