Le
11 juin 1986, la bonne bouille de Ferris Bueller débarquait sur les
écrans américains et changeait la face du film de teenagers.
Matthew Broderick était alors surtout connu pour Wargames,
film sur les débuts de l'ordinateur. Et ça tombe bien, les parents
de Ferris Bueller ont offert à leur fiston un ordinateur qui lui
permettra de modifier, en le piratant, le logiciel de ses absences au
lycée. Sa sœur Jeanie (Jennifer Grey), elle, a eu comme cadeau une
voiture. On le voit assez vite, les Fueller font partie de la bonne
bourgeoisie bien blanche, qui vivent dans la banlieue huppée de
Chicago, la ville natale de John Hughes.
La
Folle journée de Ferris Bueller,
comme son titre l'indique bien, se déroule sur une seule journée,
du matin vers 8 heures quand tout le monde se prépare pour aller au
travail et au lycée, jusqu'à 18 heures quand revient le père à la
maison. Ferris a décidé de simuler la maladie. Il a décidé de
faire sécher l'école parce qu'il fait très beau. Et il a convaincu
son meilleur ami Cameron (Alan Ruck) et sa petite amie Sloane (Mia
Sara) de le suivre dans cette folle journée. Et pour convaincre les
parents, quoi de mieux que de faire croire que tout va bien, mais
dans un râle quasi funeste, le tout sous les yeux de la sœur qui a
bien compris le petit manège.
Un
an et demi plus tôt, Breakfast Club se déroulait entièrement
dans une salle de colle avec cinq lycéens. Cette fois, Ferris
Bueller ne mettra même pas les pieds au lycée. Quand le prof
d'économie fait l'appel, seule sa chaise vide est cadrée. Quand il
vient chercher Sloane déguisé comme le père de cette dernière, il
reste éloigné de l'entrée. Les longues discussions, dialogues et
échanges de Breakfast Club traçaient la carte du lycéen
américain, cette fois notre héros s'adresse directement au
spectateur, en fait son complice, le regarde droit dans les yeux pour
lui prodiguer de solides conseils pour faire l'école buissonnière.
Ce
qui traverse le film est que Ferris Bueller n'est pas encore un
adulte, mais plus vraiment en enfant. Certes, il truande ses parents,
leur ment pour rester chez lui, comme le ferait un gamin. Certes,
sous la douche, il fait des jeux puérils, se faire une crête avec
le shampooing, chanter avec le pommeau de douche. Juste après, il
cause politique, évoque tous ces mouvements en -isme, il parle de la
fac dans laquelle il va entrer après l'été et conçoit que c'est
la fin de son amitié avec Cameron, il troque sa chemise à fleurs
pour un costume cravate. Ferris, sans se soucier de raccord, change
de fringues à chaque plan.
Pour
Ferris, le summum du passage à l'âge adulte, dans cette journée de
loisirs, c'est de conduire la Ferrari du papa de Cameron. Présentée
comme dans une pub au son de la musique de « Oh Yeah » du
groupe Yello, la voiture de sport va servir de locomotive au récit.
Et d'abord, elle va servir à convaincre Cameron, toujours malade –
et c'est ainsi qu'il se sent le mieux – à accepter de quitter son
lit pour se rendre à Chicago, dans la grande ville après ce détour
au lycée pour récupérer Sloane qui feint que sa grand-mère est
morte. C'est parti pour faire les 400 coups.
Ferris
conduit, Sloane est à côté de lui Cameron à l'arrière avec son
maillot de baseball rouge. Chacun sa casquette vissée, direction la
grande ville. La banlieue chic et les petites maisons, c'est le lieu
de leur adolescence, les deux gars et la fille vont grandir en se
promenant dans Chicago avec ses grands buildings. John Hughes filme
sa ville avec joie et passion, plans aériens sur les immeubles avant
de se poser pour s'en imprégner de l'esprit. Dans les commentaires
audio du DVD, le cinéaste regrette d'avoir été forcé de tourner
certains plans à Los Angeles.
La
beauté de La Folle journée de
Ferris Bueller tient à la
liberté avec laquelle John Hughes passe d'un quartier à l'autre,
sans se soucier de transitions, ni même de raccords entre les
séquences. Le parcours des trois amis va d'un restaurant chicos à
un match de baseball où Ferris récupère une balle se prolonge avec
la visite au musée de Chicago et continue avec la German Day Parade
où Ferris, sur un char, chante deux chansons, dont « Twist and
Shout », version Beatles, entraînant tout le quartier des
affaires avec lui. Les notions de temps comme de distance sont
abolies pour atteindre la fable.
Pendant
ce temps, les deux ennemis de Ferris sont sur le pied de guerre. D'un
côté sa sœur Jeanie qui se lamente de la popularité de son frère.
Ferris devient l'objet d'une vaste campagne de solidarité, ses
camarades sont persuadés qu'il a besoin d'un rein. Une collecte est
lancée, partout les appels sont visibles : dans le journal que
lit le père, sur les panneaux lumineux du stade, sur le château
d'eau du quartier des Bueller. Seule Jeanie n'est pas dupe de
l'escroquerie qui dépasse l'entendement.
L'autre
ennemi n'est autre que Monsieur Rooney (Jeffrey Jones), le proviseur
du lycée qui cherche à éliminer Ferris. Souverain au lycée où
sa secrétaire Grace (Edie McGlurg) est la seule à le trouver
compétent, Rooney va s'aventurer hors du périmètre scolaire. Les
malheurs ne vont pas tarder à s'abattre sur le proviseur dès qu'il
quitte son royaume, quand il s'aventure chez les Bueller, d'abord la
boue du tuyau d'arrosage, puis le chien qui le poursuit, enfin le
sale coup de pied que lui donne Jeanie quand elle le croise dans sa
propre maison.
Le
mensonge, la tromperie et l'usurpation sont les clés de l'humour sur
lequel repose La Folle journée
de Ferris Bueller.
L'imbrication des quiproquos (Ronney et Jeanie, le père, le
garagiste parti faire un tour en Ferrari) est d'une clarté
euphorisante. La limpidité du passage d'un lieu à un autre, donc
d'un tour comique à un autre (et je ris toujours autant devant le
film) se produit par une augmentation du suspense (léger, tout de
même, on n'est pas dans un thriller) pour Ferris de se faire prendre
à son propre piège par son père, sa sœur ou son proviseur.
La
variété de ton est la force du film, ce qui fait qu'il est encore
indispensable 30 ans plus tard. La séquence de la visite du musée
de Chicago est sans doute la plus personnelle du cinéma de John
Hughes. Cameron, tout à sa déprime chronique, regarde les enfants
des tableaux et réciproquement. Ce personnage qui n'est pas encore
adulte se rend compte qu'il n'a jamais été enfant. Seul l'art peut
lui dire cela, seule la destruction de la Ferrari peut lui faire
passer sa déprime. Ferris Bueller pensait seulement s'offrir une
journée buissonnière, il a libéré son meilleur ami.
Merci à Thomas pour la relecture...
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