Dans
la Chine légendaire et barbare où Tsui Hark situe Green
snake, les hommes ont des
visages grotesques, leurs nez sont des groins, les peaux sont
déformées et couverts de pustules et ils vivent dans la fange. La
boue envahit l'espace
dans lequel ces monstres se
mettent en cercle devant un homme qui a pris de la hauteur. Cet homme
contraste tout à fait avec les autres. Il est tout de blanc vêtu,
il est calme, serein. C’est le moine Fa-hai (Chiu Man-cheuk), dans
une position de prière, la main dressée devant lui.
Fa-hai
quitte le village en volant et marchant sur l’eau. Puis atteint une
forêt où il sent un non-humain. C’est un vieillard barbu aux
longs sourcils, également en blanc, qui marche en volant (Feng
Tien). Fa-hai se met à sa poursuite, l’interroge sur sa santé et
comprend que le vieillard, qui annonce avoir deux cents ans, est une
araignée qui a pratiquement atteint le statut d’humain à force de
méditation. Mais Fa-hai décide de faire prisonnier le vieil homme
et l’enferme sous le socle d’une chapelle afin qu’il ne nuise
pas aux humains.
Cette
mission accomplie, il retourne en forêt où une pluie violente
s’abat soudainement. Elle est provoquée par les deux sœurs
serpents, Siu-chen, le serpent vert (Maggie Cheung) et Chu-shen, le
serpent blanc (Joey Wong). Fa-hai les laisse filer. Elles semblent
inoffensives. Les deux serpents vont en ville et décident de s’y
installer. Serpent vert atterrit au milieu d’une soirée coquine où
des danseuses indiennes officient. Elle arrive nue dans la pièce et
se met à danser sensuellement avec les danseuses. Tsui Hark pratique
un érotisme tel qu’il se faisait à l’époque à Hong Kong :
une vision soft et saphique de la sensualité.
Serpent
blanc va mettre son dévolu sur un jeune lettré, Hsui Xien (Wu
Xing-guo). C’est un défi qu’elle se lance. Elle l’invite à
venir dans sa demeure à la sortie du village, mais Hsui Xien trouve
devant la maison un vieux taoïste et ses deux moinillons affairés à
chasser les femmes démons en plaçant du soufre sur les murs.
Serpent vert est prise de malaise et commence à quitter son
apparence humaine, mais sa sœur fait pleuvoir et le soufre est
évacué. Elle entame une liaison avec le lettré tandis que Serpent
vert reste seule. Les saisons passent et leur liaison continue. Le
lettré est amoureux du démon. C’est sans compter sur Ha-fai qui
veut chasser les deux serpents.
Tsui
Hark traverse son film de différents genres : la comédie, la
romance, la politique. C’est Maggie Cheung qui se charge de la
comédie. La jeune sœur n’a que 500 ans d’apprentissage de
sorcellerie tandis que Serpent blanc en a 1000 à son actif. Elle est
montrée comme une femme paresseuse qui préférerait ramper comme un
serpent plutôt que d’avoir à marcher. L’essentiel du comique de
son personnage vient justement de ses nombreuses transformations dues
à la peur ou à la paresse. L’autre personnage comique est le
vieux taoïste aveugle qui échoue dans tous ses plans, un pur
personnage burlesque.
La
romance ne s’attache pas seulement à Hsui Xien et Serpent blanc.
Elle apprendra avec lui à devenir humaine et, vers la fin du film, à
avoir des sentiments et donc à pleurer. Mais Serpent vert aimerait
également aimer un humain. Elle est tentée par Hsui Xien, ce qui
rend jalouses sa sœur, et d’une certaine manière par Serpent
blanc elle-même, puisque Tsui Hark s’amuse à donner dans
l’érotisme féminin. Puis, c’est le moine Ha-fai qu’elle
voudra séduire dans une scène aquatique devant une cascade où
Serpent vert cherchera à provoquer en lui une émotion.
Tsui
Hark filme les scènes de romance à grands coups de regards
langoureux, d’œillades au spectateur et de moues boudeuses. Les
deux serpents arborent de nombreuses parures et joailleries.
L'esthétisme de la demeure des deux sœurs est proche du kitsch. Il
y a un étang avec de nombreuses fleurs de lotus rose. De nombreuses
tentures tombent du plafond, les portes sont arrondies, on se
croirait presque dans une comédie sophistiquée d'Ernst Lubitsch.
L’image est très souvent colorée de filtres rose ou orange pâles
tandis qu’une musique de voix harmonieusement douces surenchérit
la romance amoureuse. Quant aux effets spéciaux, leur charme tient
dans le bricolage bon marché.
Mais
cet amour va être contrecarré par l’intransigeance du moine
Ha-fai. C’est un fanatique religieux qui décide d’éradiquer
ceux qu’il juge néfastes. Son personnage est le plus sévère du
film à l’opposé de celui du vieux moine taoïste qui, s’il a
aussi l’ambition de détruire les femmes serpents, fait rire.
Ha-fai est un moine sans émotion, qui n’hésite pas à trahir son
serment fait à Serpent vert de l’épargner, pour arriver à ses
fins. Il se réfugie dans un temple bouddhiste où de nombreux moines
fanatisés chantent à l’unisson des prières. Ils semblent avoir
subi un lavage de cerveau et Ha-fai entend faire la même chose à
Hsui Xien puisqu’il ne renonce pas à son amour. Son fanatisme
intolérant provoquera une catastrophe qui manquera de détruire le
village et de tuer ses habitants. Mais le moine accuse les sœurs
serpents.
Pour
Tsui Hark, ce fondamentalisme religieux est un des grands maux de
toutes les époques et il n’a a de cesse de les opposer dans Green
snake. Dans la mesure où le
film a été tourné en 1993, il n’est impossible d’y voir
également une allusion à la future rétrocession et d’assimiler
le moine Ha-fai à la grande sœur chinoise. C’est donc
l’affrontement de la connaissance (Hsui Xien est un lettré) face à
la doctrine (tout le monde doit suivre une seule ligne directrice).
Tsui Hark prend le parti des lettrés et de l’amour et livre un
film parmi les plus radicaux politiquement. Comme toujours chez lui,
d’ailleurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire