Cette
semaine, hasard du calendrier des sorties, deux films totalement
opposés ont pour cadre les bidonvilles. Je commence par Insiang
que Carlotta a entièrement restauré. Le film a 40 ans, toutes ses
dents, et n'a pas pris une ride. Je ne connais pas les films de Lino
Brocka, et à peine le cinéma philippin, mais celui-là a du
mordant. La première séquence donne le ton. Le tout premier plan
est celui d'un cochon qui se fait égorger. Et un porc qu'on trucide,
ça fait un boucan du diable, ça hurle, ça couine, additionné au
vacarme assourdissant des machines qui dépiautent les carcasses des
porcs, crament leurs poils et les transportent d'un coin à l'autre
de l'abattoir. Seuls des hommes travaillent ici, les corps en sueur.
Insiang,
c'est le prénom de l'héroïne, superbe jeune femme aux yeux marrons
pétillants mais tristes qu'incarne Hilda Koronel. Elle déambule à
travers les maisons de planches et de tôles, au milieu des habitants
d'un bidonville de Manille. Pendant qu'elle rentre chez elle, le
générique se déroule et la musique accompagne ses pas, une douceur
s'incarne à l'écran. Son visage est aussi calme que la porcherie
était chaotique. Quand elle arrive chez elle, la fureur reprend de
plus belle. Sa mère Tonya (Mona Lisa), petite femme maigre hurle
contre tout le monde. Et les enfants de tout âge envahissent la
pièce unique de la maison.
Pour
bien montrer l'autoritarisme de cette mère, Lino Brocka commence son
récit par une grosse dispute familiale où Tonya reproche à sa
belle sœur venue habiter à la ville après avoir quitté la
campagne de ne jamais rapporter d'argent, que ses enfants mangent
trop et que le riz coûte cher et que les vêtements que les gamins
portent sont à elle. La belle sœur, la propre tante d'Insiang
décide de foutre le camp à toute vitesse. Elle emballe ses maigres
biens, enlèvent la robe à sa gamine et le pantalon du mioche qui se
retrouvent nus au milieu du chemin. Les deux mères s'engueulent et
la tante finit par partir au grand désespoir d'Insiang.
Car
si Insiang est triste du départ de sa tante, c'est qu'elle parvenait
à faire tampon à la fureur de Tonya. Ce que cette dernière
reproche autant à sa belle sœur qu'à sa fille, c'est qu'elles sont
du sang du père, l'ancien mari de Tonya parti avec une autre femme.
Voir chaque jour sa belle famille lui rappelle son abandon, lui
rappelle qu'elle est désormais une femme célibataire, lui rappelle
sa vieillesse. Tonya n'enferme pas sa fille mais elle lui interdit de
fréquenter les garçons car elle pense qu'elle a le démon du sexe
dans le sang. La violence des rapports entre la mère et la fille est
ce qui est le plus troublant dans Insiang.
Alors
que fait Insiang toute la journée ? Elle accomplit toutes les
corvées ordonnées par sa mère. Faire la bouffe, le repassage,
livrer le linge repassé aux clients et faire les courses, souvent à
crédit. Là, elle peut un peu s'évader. Elle discute à la
boutique, le deuxième décor avec la maison d'Insiang, du film. Le
magasin est tenu par Ludy (Nina Lorenzo), une fille de son âge. Son
personnage est le chœur antique de cet immense mélodrame qu'est
Insiang,
elle commente tout ce que l'on voit, elle sait toujours où se trouve
chaque personnage et elle apporte un peu de réconfort à son amie
qui n'esquissera un sourire que lors qu'elle sort de chez elle.
Insiang
est une belle jeune femme et trois hommes lui tournent autour. Son
amoureux officiel est Bebot (Rez Cortez), de son âge, grand gars aux
cheveux bouclés dont Lino Brocka filme la peau nue. Bebot est
mécanicien mais préfère fanfaronner avec ses amis, boire et
parier. Le deuxième est un amoureux transi, Nanding (Marlon Ramirez)
est le frère de Ludy, incapable de déclarer son amour à Insiang,
il s'enferme dans le magasin à espérer qu'un jour Bebot
l'abandonne. Le troisième est Dado (Ruel Vernal), l'homme qui
égorgeait le cochon en ouverture du film. Dado se trouve être le
nouvel amant de Tonya, elle pourrait être sa mère.
Tout
le mélodrame, appuyé par une superbe musique, se noue autour de ces
six personnages, trois femmes et trois hommes. Ils vont tenter de
discuter, essayer de s'aimer, croire qu'ils peuvent vivre ensemble,
mais ils vont se cogner à la réalité des Philippines et jamais
pouvoir s'y échapper. La visite comique d'une mère et de sa fille à
la boutique est l'une des scènes qui montre qu'aucun espoir n'est
possible. Cette fille participe à tous les jeux télé auxquels sa
mère l'inscrit dans l'espoir de sortir du bidonville, cette
télévision du dictateur Marcos et de sa femme qui vendaient du rêve
bon marché. Insiang a bien compris que ce rêve n'existe pas.
Je
n'en dis pas plus, il faut aller voir Insiang
si un cinéma le projette près de chez vous.
1 commentaire:
C'est un film plutôt surprenant, qui navigue autant du côté
télénovela (le ménage à trois), voire du cinéma populaire
italien des années 70, avec zoom, musique mélancolique
très occidentale qui s'arrête brutalement en fin de séquence,
que du cinéma de Fritz Lang (la contamination du mal).
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