Ceci
est une révolution. Quoi donc ? Mais la construction de ce
biopic de Steve Jobs en trois parties se concentrant sur trois
événements. Pas tout à fait révolutionnaire. Ce genre de biopic
allégé a été tenté dans Frost / Nixon de Ron Howard et un
peu dans Saint Laurent de Bertrand Bonello. En vérité, le
film de Danny Boyle raconte toute la vie de Steve Jobs, de sa
naissance à l'invention de l'iPod. Par un des moyens les plus connus
du cinéma : le flash-back. Des scènes « live » du
premier ordinateur fabriqué dans le garage par Steve Jobs (Michael
Fassbender) et Steve Wozniak (Seth Rogen) à l'embauche de John
Sculley (Jeff Daniels) dans un McDo. Des flash-backs dialogués où
Jobs raconte son adoption, son rejet par ces parents adoptifs jusqu'à
l'idée de l'iPod quand il en a marre de voir sa fille Lisa
trimballer son gros walkman.
Qu'on
se le dire, Steve Jobs travaille pour le bien de l'humanité, et le
film le martèle pendant deux heures, un peu à la manière du
réalisme socialiste, ces films de propagande soviétique où le
personnage principal œuvrait à l'édification du peuple, toujours
en avance sur son temps, à contre-courant des modes et ralenti par
les autres. Ces autres, ce sont Wozniak, Sculley, Andy Hertzfeld
(Michael Stuhlbarg) et Chrisanne Brennan (Katherine Waterstone), la
mère de sa fille Lisa (qui prendra le relais de sa mère dans le
troisième acte). Pendant 14 ans, de 1984 à 1998, ils disent tout
haut tout ce qu'ils pensent de Steve Jobs, ils instruisent son
procès, son avocate de la défense est Joanne (Kate Winslet), qui
comme beaucoup d'avocats sait qu'il est coupable de ce dont on
l'accuse mais qui le défend tout de même.
Le
procès de Steve Jobs tourne autour de sa vie privée et de la
gestion désastreuse de sa paternité qu'il refusera longtemps de
reconnaître. Cette petite Lisa qui s'appelle comme un ordinateur, le
programme LISA. Il refuse d'aider Chrisanne malgré sa pauvreté
alors qu'il engrange des profits fabuleux. Il a des rapports
difficiles avec Sculley, son patron qu'il juge incompétent, et se
montre paternaliste envers Wozniak et Andy (son prénom sera
l'occasion du seul gag récurrent du film). Les longues scènes de
dialogues (répétées trois fois) se suivent et se ressemblent. A la
fois dans les reproches que chacun adresse à Steve Jobs et dans les
réponses de ce dernier. Le film valide chaque fois la réponse de
Jobs qui aura toujours le dernier mot, qui donne la raison de ces
actes. Chaque fois, son personnage est mis au premier plan, lumineux
et charismatique, et ses interlocuteurs sont relégués à l'arrière
plan engoncés dans leur accoutrements ridicules.
Ceci
dit, la mise en scène de Danny Boyle est, pour une fois, regardable,
sans avoir envie de s'arracher les yeux (je garde un terrible
souvenir de Slumdog millionaire et 127
heures). Steve Jobs aurait gagné à être une
série (sur HBO par exemple, chaîne révolutionnaire), chaque
épisode aurait pu décliner d'autres inventions. Il faut dire que
tout avait pratiquement déjà été raconté dans le film avec
Ashton Kutcher. Mais Danny Boyle exploite moins bien le script
d'Aaron Sorkin que David Fincher. Ce dernier parvenait dans The
Social network à montrer toute la complexité de Zuckerberg en
deux scènes sans dialogues. La première quand il traverse le campus
enneigé en short, sandales et t-shirt. La deuxième quand il se rend
compte que la fille qu'il draguait l'avait défriendé de Facebook,
soit l'homme obnubilé par son projet qui se retourne contre lui.
Lisa aurait pu acheter un PC, par exemple.
Les
trois actes apparaissent assez vite être une simple composition
scolaire, thèse (Apple II vs Macintosh), antithèse (Apple vs NeXt),
synthèse (iMac). Ce qui manque souvent à Steve Jobs, c'est
qu'on ne sort jamais de l'aspect théâtral des dialogues, c'est une
incarnation véritable de ses personnages qui parviennent rarement à
sortir des rôles qui leur sont assignés. Il reste à évoquer la
place du public présent à chaque acte et qui emplit la salle avant
chaque présentation du produit. Ce public qui acclame son héros, sa
star à son entrée sur scène est le grand absent du film. Il n'est
jamais incarné, là aussi, un fidèle utilisateur aurait pu donner
son avis, histoire de varier les dialogues et d'ouvrir vers le
hors-champ. Ce public est donc un pur fantasme de réalité. Et dans
la vraie vie, le public a snobé le film, contre toute attente. Mais,
c'est sans doute que le public, comme Wozniak, Sculley, Chrisanne et
Andy, a tort.
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