Le
30 septembre 1900, Auguste et Louis Lumière filment Georges Footit
et Chocolat. Ce film des deux frères est visible à la toute fin de
Chocolat, juste avant le générique. Plan fixe où les deux
clowns font leur numéro : Footit esquisse un mouvement
circulaire accroupi, Chocolat se saisit d'une chaise pour le frapper,
tous deux sautillent, cherchent à se faire tomber l'un l'autre puis
sortent du cadre. Dans le film de Roschdy Zem, les frères Podalydès
jouent les frères Lumière. On les voit, derrière leur appareil,
donner des directives aux clowns dans une séquence charnière où
l'art ancien de la pantomime rencontre l'art nouveau du
cinématographe.
Ce
qui passionne dans la première heure de Chocolat, ce sont les
coulisses du spectacle. Au lieu de se mettre à la place du badaud
qui vient au cirque, Roschdy Zem montre l'érection du chapiteau, les
artistes qui auditionnent devant le patron, Monsieur Delvaux
(Frédéric Pierrot). Parmi eux, Footit (James Thierrée, acteur
physique qu'on avait vu dans Mes séances de lutte de Jacques
Doillon, il est aussi le chorégraphe des numéros que l'on verra
dans le film et accessoirement le petit-fils de Charles Chaplin). Le
nouveau numéro de Footit ne plaît pas à Delvaux qui ne veut pas
l'engager. Du déjà-vu. Le patron veut du neuf.
Quand
Footit observe des coulisses l'arrivée d'un sauvage africain, comme
le présente Delvaux, au milieu de la petite piste du cirque, il sent
qu'il peut faire de cet homme habillé de peau de bêtes autre chose.
L'arrivée d'Omar Sy sur la piste est là aussi vue des coulisses. On
sait qu'il joue le rôle de cet Africain que l'on présente comme un
sauvage cannibale, Delvaux le traite de Nègre, il doit faire peur au
maigre public qui en 1897 n'a jamais vu de Noir, n'est jamais sorti
de son village. La caméra subjective montre les regards effrayés,
pour enfin montrer le visage d'Omar Sy affublé d'une coupe de
cheveux monumentale.
Trois
ans est la durée entre la rencontre entre Footit et celui qu'il va
surnommer Chocolat, abandonnant le pseudonyme africanisant que lui
avait donné Delvaux, et le succès qui emmène les frères Lumière
à filmer le duo. Ces trois années, montre comment Footit dirige son
comparse, comment il négocie ses contrats, comment il l'exploite
sans vergogne. Puis comment se crée la jalousie des autres artistes
du cirque, d'abord la rage de la mère Delvaux (Noémie Lvovsky) puis
des collègues du grand cirque de Monsieur Oller (Olivier Gourmet)
qui les débauche pour aller à Paris. Enfin comment l'amour rentre
dans la vie de Chocolat alors que Footit reste solitaire.
Les
numéros du duo sont basés sur un schéma primitif, Footit est le
clown blanc, Chocolat l'Auguste, l'actif et le passif, le fesseur et
le fessé. Là encore, à mon grand étonnement, la limpidité de la
mise en scène de Roschdy Zem permet de prendre un grand plaisir aux
numéros. Un plaisir coupable car c'est bien entendu toujours au
dépend de Chocolat que l'on rit, des remarques sur sa peau, sur sa
bêtise, sur sa couardise. Le film expose tout le racisme, le mépris
et le paternalisme envers les Africains. Chocolat profite de son
succès parce qu'il accepte cette position de dominé jusqu'à cette
fameuse scène où il visite l'exposition coloniale avec Marie
(Clothilde Hesme).
La
deuxième heure de Chocolat montre, après l'ascension, la
déchéance de ses personnages. L'alcool, le jeu et ses dépenses
folles auront tôt fait de mettre Chocolat dans une position
délicate. La rapacité d'Oller et de Footit qui le voient comme leur
propriété est montrée sans manichéisme outrancier. Le paroxysme
est atteint quand Félix Potin veut faire une publicité : le
visage de Footit est humain, celui de Chocolat est celui d'un singe.
La dénonciation du racisme peut paraître édifiante, mais elle est
terriblement efficace et d'une sincérité à toute épreuve. Roschdy
Zem dans ses autres films (Mauvaise foi, Omar m'a tuer)
n'a jamais cessé de filmer cette maladie mentale qu'est le racisme.
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