Je
suis toujours étonné de voir comment Wes Anderson parvient à
dompter les acteurs les plus exubérants du cinéma américain.
Récemment Ralph Fiennes (The
Grand Budapest Hotel), Bruce
Willis (Moonrise Kingdom),
George Clooney (The Fantastic
Mr. Fox) et bien entendu Bill
Murray, compagnon de cinéma depuis quinze ans. Intégrer de tels
cabots que Owen Wilson et Ben Stiller, à l'univers très
identifiable qui sortaient tout juste de Zoolander,
dans La Famille Tenenbaum
était une grand pari, comme ajouter le trublion Gene Hackman, pour
l'un de ses derniers films avant la retraite.
La
distribution est très belle, plutôt à mon goût. Gene Hackman est
Royal Tenenbaum, le patriarche indigne et manipulateur que ses
enfants vont détester au plus haut point après qu'il ait cherché à
leur voler leur bien. Anjelica Houston est Etheline Tenenbaum,
toujours mariée mais séparée depuis de longues années. Le
flash-back introductif fait découvrir la vie merveilleuse des trois
enfants Tenenbaum qu'Etheline a su emmener au sommet, Chas est un as
de la finance, Richie un champion de tennis et Margot une écrivaine
à succès.
Cette
longue ouverture commentée par la voix off d'Alec Baldwin met en
place (avec des acteurs jeunes pour les rôles) l'univers dans lequel
vit la famille Tenenbaum. Un immeuble de trois étages dans une ville
indéterminée, pure fabrication de Wes Anderson qui s'emploie et
s'amuse à modifier tous les signes. Du taxi cabossé à l'hôtel où
réside Royal en passant par la multitude d'objets qui traînent dans
la demeure, tout est reconnaissable mais tout semble venir
d'ailleurs, d'un autre temps, d'une autre fonction.
Les
tenues des personnages sont dans le même ordre d'idée d'un
glissement d'une réalité à une autre. Les survêtements rouges vif
que portent Chas (Ben Stiller) et ses deux fils Ari et Uzi, ainsi que
leur cheveux abondement bouclés. Le costume de cow-boy d'Eli (Owen
Wilson), le voisin d'en face. La tenue de tennis de Richie (Luke
Wilson), agrémentée d'une grande barbe et de lunettes noires. Les
robes rayées de Margot (Gwyneth Paltrow), la sœur adoptive, fumeuse
de cigarettes depuis l'âge de douze ans. Sans oublier les habits
« vieille Amérique » des parents.
Le
film dépèce le schéma familial pour le jeter aux ordures (d'où la
scène où Royal avec ses deux petits fils hilares sur un camion
poubelle). Qu'on se rende compte : un père qui méprise ses
enfants, Margot et Richie qui sont amoureux l'un de l'autre, des
trahisons, des escroqueries, des mensonges, des suicides. Le mari de
Margot, le pauvre Raleigh (Bill Murray) est cocu tandis que Henry
(Danny Glover) est menacé par Royal avec l'aide du liftier Dusty
(Seymour Cassel) et du majordome Pagoda (Kummar Pallana).
La
Famille Tenenbaum avance les
malheurs du quotidien de ses membres par chapitre, avec une élégance
de fabuliste qu'est souvent Wes Anderson dans ses films. Ces
chapitres sont des vignettes colorées qui s'avèrent de la plus
grande cruauté pour les personnages. La joliesse des décors, le
maniérisme des mouvements de caméra, le hiératisme du jeu des
acteurs masquent, en partie, la part sombre du cinéma de Wes
Anderson et son pessimisme. Personne n'est dupe de ce happy
end trop souriant.
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