Jean
Douchet est mort aujourd'hui. La Cinémathèque française avait
annoncé qu'il n'assurerait plus les débats de son ciné-club (merci
Hakim de m'avoir informé) il y a quelques jours. Il avait 90 ans et
était dans le cinéma depuis 1957. Jean Douchet a commencé aux
Cahiers du cinéma en même temps que Luc Moullet, le premier était
un féroce hitcosckien et le second demeure un jovial hawksien. Ils
étaient arrivés tous les deux juste après les Jeunes Turcs,
Godard, Truffaut et Chabrol. Jean Douchet était du côté d'Eric
Rohmer quand la lutte du pouvoir éclatait au sein de la rédaction.
Il
faut voir son documentaire sur Eric Rohmer, co-réalisé avec André
S. Labarthe, titré Eric Rohmer preuves à l'appui dans la
collection Cinéastes de notre temps. C'est une fascinante analyse du
style de Rohmer où Douchet relève tout ce qui est invisible et
notamment l'immense travail sur les obliques et les diagonales dans
le cadre et le plan. Douchet expliquait en substance qu'un film de
Rohmer, comme un film muet, pouvait se comprendre sans les dialogues
(ce qui par ailleurs serait dommage) car dans les films du cinéaste,
tout passe par la mise en scène.
Logiquement,
Jean Douchet participe au film à sketches Paris vu par...
C'est son épisode qui entame le film et sa voix, très précieuse,
que l'on entend dans la description de Saint-Germain-des-Prés
(également le titre du sketch) où il suit le parcours à travers
les nombreuses rues du quartier des cinéphiles de Katherine et Jean.
Tandis qu'il énumère les noms des rues, une deuxième voix, une
jeune femme, annonce quelle célébrité ou homme illustre a vécu
dans cette artère. Enfin, la caméra au bout de deux minutes arrive
à bon port.
Dans
ce film collectif (avec Pollet, Godard, Rohmer, Rouch
et Chabrol), il filme une histoire d'usurpation où la pauvre
Katherine, une étudiante américaine, couche avec ce Jean qui se
prétend étudiant à Science Po et conduit une Bentley. Douchet
filme, derrière ce court-métrage à chute, le corps de son acteur
sous toutes les coutures du plus simple appareil, le faisant
traverser en slip l'appartement, puis le fait se vêtir pour le
retrouver plus tard encore une fois totalement nu quand Katherine se
rend compte qu'il s'est joué d'elle. Soit la vérité nue exposée
au cinéma.
Je
me rappelle avoir vu lors d'une diffusion sur Arte son unique
long-métrage sorti en salle : La Serva amorosa, pièce
de théâtre tout simplement filmée, sans aucune fioriture. Je me
rappelle l'avoir vu dans le beau film de Xavier Beauvois N'oublie
pas que tu vas mourir dans une scène de chambre avec mon
chouchou Roshdy Zem, l'un des rares films français à parler du
Sida. Je me rappelle aussi son rôle de pâtissier dans Les Noces
de Dieu de Joao César Monteiro, il faudra un jour que j'évoque mon expérience complexe avec le cinéaste portugais.
Pour
mieux apprécier Jean Douchet, sa voix précieuse, son port altier,
ses cheveux mi-longs, sa veste noire sur sa chemise blanche, il faut
regarder la partie 35 mm d'Une
sale histoire de Jean
Eustache, l'un des rares films d'Eustache a avoir été édité en
DVD. C'était cette tenue et cette posture de dandy qu'il se
colletait depuis des années, allant inlassablement de conférences
en animation pour parler des cinéastes qu'il défendaient avec un
sens du paradoxe. Il était l'un des plus ardents défenseurs de la
politique des auteurs, il était bien normal que j'en parle ici.
1 commentaire:
On le voit faisant de la figuration dans Elle de Paul Verhoeven.
Ah, Doudouche, tu nous manques déjà ...
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