La
Viaccia, c'est le nom de la propriété des Casamonti. C'est sur des
collines de l'arrière pays florentin. Quand commence le film de
Mauro Bolognini, c'est jour de deuil, le grand-père est en train de
mourir. Il appelle son fils Stefano (Pietro Germi) qui travaille la
terre depuis des années, depuis toujours. Le vieillard a quelque
chose à dire à son petit-fils Amerigo (Jean-Paul Belmondo), que
tout le monde surnomme Ghigo. Et quand Ghigo arrive au chevet du
grand-père, ce dernier meurt dans ses bras. Ghigo doit s'extirper
des mains du mourant, dans un geste quio montre son mépris pour
cette terre qu'il considère comme une maladie.
Ghigo
va partir à Florence chez son oncle Nando (Paul Frankeur), le frère
de Stefano. Nando est devenu le propriétaire de la Viaccia, par un
petit tour de passe-passe, il s'accapare cet héritage qu'il promet
de rendre à Stefano quand il viendra lui aussi à mourir. Il tient
un café, il vit avec son concubine la Beppa (Marcella Velari), une
grosse bonne femme qui cherche à toute force à faire reconnaître
son fils par Nando. Ce qu'il a toujours refusé, il prétend même
qu'il n'est pas son fils. Pour l'instant, il accueille Amerigo à qui
il donne des tâches ingrates et qu'il loge dans l'arrière-boutique
avec les balais et les seaux.
La
Florence de La Viaccia est toute brumeuse. Toute grise.
Totalement sinistre. Cela est accentué par la musique de Claude
Debussy dont l'air dépressif est scandé régulièrement. Ghigo
traîne son ennui dans les rues où il repère une belle jeune femme.
Bianca (Claudia Cardinale) est une prostituée qui opère dans une
maison close. Ghigo tombe immédiatement amoureux de Bianca. Mais
pour parvenir à payer les charmes et le corps de la jeune femme, il
doit voler dans la caisse de son oncle. Il va pouvoir ainsi devenir
un fidèle client, arborant son silence dans les couloirs, escaliers
et salons du bordel.
C'est
cela qui frappe le plus dans ce rôle de Jean-Paul Belmondo. Il est
totalement physique et pratiquement muet. Jamais je n'ai eu
l'impression qu'il ne disait aussi peu de choses dans un film. Ce
caractère taiseux est compensé par l'esprit sanguin quand quelqu'un
s'intéresse de trop près à Bianca. C'est un paresseux qui déteste
travailler mais tout passe par ses postures, assis, debout, allongé,
par ses regards énigmatiques, par ses sourires sarcastiques face aux
autres clients de Bianca. La direction d'acteur de Mauro Bolognini
est impressionnante dans cette manière de montrer toute cette haine
et tout cet amour en quelques gestes.
Régulièrement,
Ghigo fera des allers-retours entre Florence (où il se fait chasser
par son oncle), le bordel (où Bianca le manipule tout en étant
sensible au charme du jeune homme) et la ferme de la Viaccia. Ce qui
ressort est un portrait général de cette Italie provinciale où les
traditions créent des personnages d'une bêtise et d'une méchanceté
incroyables. Avarice, cupidité, orgueil, jalousie, honte, priapisme.
Pas un pour rattraper l'autre. La pauvre mère, comme toutes les
femmes, subissent la fierté des hommes. Leur esprit plein
d'archaïsme les pousse à accepter les décisions iniques plutôt
que de chercher à changer.
Amerigo
même en cherchant à s'éloigner de cette famille malade de la terre
reste contaminé, il le sait et ne peut pas aller contre son destin.
En milieu de film, il semble intéressé par la politique. Dante
(Romolo Valli), un ami de son village méprisé par Stefano, fait
partie d'un mouvement socialiste que le pouvoir italien de l'époque
cherche à étouffer dans l’œuf. Même là, Ghigo refuse le
changement comme prisonnier de cette vie qui reste son destin. C'est
cette fatalité qui le fait mourir presque comme dans A bout de
souffle, dans un dernier trouble cinématographique.
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