En
1987 dans le Minnesota, Prince venait de sortir son album Sign o' the
times et l'actrice Betty White incarnait dans la série comique The
Golden girls la naïve Rose Nylund, d'origine scandinave comme à peu
près tous les personnages de Fargo. Ils faut les entendre tous ces
hommes et ces femmes du petit comté de Brainerd, la patrie du
bûcheron géant, se déplacer lentement, sans doute à cause de la
neige qui les frigorifie, et dire un « Ja » sonore en
accentuant longuement sur le A à chaque phrase, l'un des
éléments comiques du film les plus irrésistibles.
Les
frères Coen ont choisi leur terre natale et ne font jamais référence
à Prince ni à Rose Nylund dans leur film. Mais on sent du début à
la fin, dans cette manière de filmer le neige, les étendues
infinies du paysage, la lenteur de l'hiver et ses habitants aux noms
scandinaves à la fois une bonne dose d'ironie et un affection
inconditionnelle. Ce bon village de Brainerd où rien ne se passe
jamais va subir l'arrivée de deux malfrats, un petit brun bavard
Carl (Steve Buscemi) et un grand taiseux aux cheveux peroxydés Gaear
(Peter Stromare).
Ils
ont été engagés par Jerry Lundegaard (William H. Macy). La
première séquence de Fargo expose sans ambages tous les
enjeux, avec une grande rapidité. Présentation rapide de Jerry aux
deux malfrats de ce qui va arriver durant la prochaine demi-heure :
ils doivent kidnapper sa femme, Jean (Kristin Rudrüd) pour demander
une rançon auprès du beau-père fortuné et franchement méprisant
pour son gendre. Puis Carl et Gaear doivent relâcher Jean. Pour
faire ce rapt, Jerry a acheté, loin de chez lui, une Ciera marron.
Il paiera les deux gars 40000$ pour ce faux enlèvement.
30
minutes, c'est le temps pour que ce plan foire totalement, mais
sûrement pas sur un mode comique. Le rapt est effectué dans la
panique et sur un mode pratiquement burlesque avec les deux tocards
qui semblent à peine conscients de ce qu'ils font et Jean Lundegaard
qui observe ces encagoulés de son salon. Parce que les deux hommes
sont arrêtés la nuit par un policier en patrouille. Le flic est
abattu sans sommation et laissé sur la neige. Un couple passe par
là. Gaear prend le volant, fonce à leur poursuite, leur voiture
tombe dans le fosse et il les abat eux aussi. Trois morts en quelques
minutes.
Au
bout des ces 30 minutes, arrive enfin Frances McDormand. Joel et
Ethan Coen ont l'art extrême de savoir la faire attendre alors
qu'elle est en tête du générique. Elle est Marge Gunderson, cheffe
de la police locale et elle est réveillée très tôt le matin par
un coup de téléphone. On lui annonce ces trois morts sur la route
enneigée. Son mari Norm (John Carroll Lynch) se lève aussi. Il lui
prépare son petit déjeuner qu'ils mangent tranquillement dans leur
cuisine. Marge est enceinte, et pas qu'un peu, et c'est son rythme
lent et calme que le film va adopter.
Il
faut la voir se dandiner tout en menant son enquête emmitouflée de
scènes de crime en motel miteux, de chez elle à quelques lieux
divers. C'est aussi un défilé de personnages hauts en couleurs (un
ancien collègue de fac, une voisine étrange). Elle ne paie pas de
mine avec sa coiffure banale et son sourire un peu benêt. Elle est
tenace dans sa volonté de démêler tous ces fils. Les nœuds du
complot sont inextricables. Le spectateur sait tout et il s'amuse
comme un enfant à voir comment Marge se débrouille pour relier ces
meurtres à ce faux rapt.
Impossible
avec le temps, de ne pas comparer Fargo avec Three
billboards où Frances McDormand rejoue une partition similaire,
au moins sur le papier. La violence froide et glaciale des frères
Coen n'est acceptable que parce qu'elle s'oppose au flegme de Marge
mais dans ce rôle de mère d'une victime horrible, Frances McDormand
ne cessait de subir un scénario tyranique qui ne prend pas en compte
ses personnages et son environnement. Fargo n'aurait pu être
joué par personne d'autre qu'elle, dans ce lieu précis, totalement
incarné, totalement réaliste.
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