Il
traverse les rues de Manhattan, bravant les voitures et les taxis qui
circulent dans les grandes avenues. John Shaft (Richard Roundtree),
en cet hiver 1971, porte un pull à col roulé, un manteau de cuir et
arbore fièrement une moustache et des rouflaquettes fournies. Shaft
est l'homme le plus cool de Harlem comme le disent les paroles de la
célèbre chanson d'Isaac Hayes qui ouvre Shaft : « qui
est ce détective privé noir qui est une machine sexuelle pour
toutes les filles ? » Tout est dit et ça continue dans la
description du héros.
Détective
et sex machine, comme chantait James Brown. C'est le cas, il est
champion dans tous les domaines. Commençons par le sexe et par sa
manière d'en parler. Shaft pour un film de 1971 est cru dans les
dialogues mais reste bien gentil dans les images. Deux scènes de
cul, la première avec sa copine attitrée Ellie (Gwenn Mitchell) qui
vit dans un appartement aux couleurs vives. Les peaux nues des deux
acteurs seront passées au tamis de reflets lumineux. Dans la
deuxième avec Linda (Margaret Warncke), c'est la porte vitrée de la
douche qui fait écran.
Mais
ce que montrent ces deux scènes est que Shaft couche avec des femmes
peu importe la couleur de leur peau. Shaft est un gars ouvert au
monde moderne, son sourire fait le reste. J'en veux pour preuve la
séquence dans un bar tenu par un gay. Il prend d'ailleurs la place
du barman pour mieux surveiller deux types de la mafia qui eux-mêmes
surveillent l'appartement de Shaft qui se trouve juste en face du
bar. C'est que John Shaft n'est pas seulement un grand charmeur,
l'ami de tout le monde mais aussi un homme particulièrement futé et
en avance sur les autres.
Futé
en comparaison de tous ceux qu'il croise dans ce polar au récit
classique. Il faut le rappeler, Shaft est un détective privé et pas
un flic, c'est important car il n'est pas du versant du pouvoir. Il
s'en moque souvent notamment de l'inspecteur Vic Androzzi (Charles
Cioffi), premier personnage qu'il croise dans les rues de Harlem. Ils
ont des rapports sur le mode chaud – froid et le film joue avec
humour sur ces rapports où les dialogues sarcastiques fusent. Vic
est franchement du côté de Shaft, souvent contre ses collègues et
sa hiérarchie.
J'ai
parlé plus haut de la tenue de John Shaft très près du corps et
sensuelle. Celle de son nouveau client est bien différente. Bumpy
Jonas (Moses Gunn), tout comme ses hommes de main, porte des tenues
comme dans les années 1950, manteau de laine, pantalon de lin et
chapeau mou. Très classe et totalement anachronique. Il se prend
pour un parrain de la pègre noire d'une autre époque. Le
vocabulaire châtié de Bumpy tranche avec le langage fleuri de
Shaft, tout comme leur rythme s'oppose, la lenteur de l'un face à la
vivacité de Shaft.
On
passe de ce petit parrain prétentieux qui engage Shaft pour sauver
sa fille kidnappée à un type bien plus nerveux, Ben Buford
(Christopher St. John), ami d'enfance de Shaft mais qui a pris un
parcours opposé. Il est évoqué les Black Panthers, on voit un
portrait de Malcolm X, mais le film se garde bien de dresser un
portrait politique. Malgré leurs différences, ou grâce à elles,
Buford et Shaft vont s'unir pour enquêter, résoudre cette affaire
et donner quelques coups de poing, vider quelques flingues et faire
saigner quelques corps puisque Shaft est aussi un film
d'action.
L'histoire
est très basique, le rythme de Gordon Parks parfois pataud. Mais ce
n'est pas grave. Ce qui est précieux dans Shaft est de voir
New York en 1971. Cette part documentaire, voilà la beauté de
Shaft. C'est de voir ces rues de Harlem, ce décor naturel,
ces immeubles de briques rouges, le délabrement de ces quartiers
délaissés, la nuit avec ses enseignes, ses néons, ses lumières,
les salles de cinéma où les affiches n'affichent que des acteurs
blancs, Robert Redford, Michael Caine. Richard Roundtree leur volait
la vedette en 1971.
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