Il
faudra 10 bonnes minutes à Hildy Johnson (Rosalind Russell) pour
dire à Walter Burns (Cary Grant), son ancien patron et son ancien
mari qu'elle va épouser Bruce Baldwin (Ralph Bellamy, Walter trouve
d'ailleurs dans une réplique que Bruce ressemble à Ralph Bellamy)
son nouveau fiancé. 10 minutes où dans le bureau de Walter, au sein
de la rédaction du Morning Star (le même nom de journal que dans La
Joyeuse suicidée également écrit par Ben Hecht), Hildy et
Walter vont discuter à bâton rompu sur ce qu'il pense être son
retour au journal. Elle vient au contraire dire adieu et le gentil
Bruce l'attend dans la salle d'attente.
Les
coups de téléphone s'enchaînent. Walter appelle son plus fidèle
assistant Duffy (Frank Orth) pour avoir des nouvelles du condamné à
mort qui doit être exécuté à la prison de New York. Ça va vite,
il cherche à convaincre Hildy de rester à la rédaction avec une
arrière pensée qu'il dissimule mal à son ancienne épouse qu'il va
tout faire pour l'empêcher de partir à Albany, capitale de l'Etat
de New York (où Walter n'est allé qu'une fois) pour épouser ce
vendeur d'assurances. Oh, Hildy n'est pas dupe, elle a bien compris
le manège de son divorcé de directeur. Elle met son haut chapeau,
prend sa valise et son manteau et rejoint Bruce.
Deux
c'est un couple, trois c'est une foule. Hildy va revenir au Morning
Post, abandonner Bruce et épouser Walter mais elle ne le sait pas
encore. C'est que Walter ne va pas lâcher son ancienne femme. Il
s'incruste au restaurant et se met entre Hildy et Bruce pendant ce
déjeuner. Il ne renonce pas d'autant que le l'horloge tourne. Le
couple doit prendre le train à 16 heures. L'une des idées de ces 20
premières minutes de La Dame du vendredi donnent la sensation d'un
film en temps réel, ce qui est l'inverse du théâtre filmé. C'est
une course contre la montre dans laquelle s'engage Walter et
entraînant avec lui Hildy puis tous les autres personnages, et ils
sont nombreux et tous franchement excités et hystériques.
Les
répliques ne sont pas forcément données à toute vitesse,
contrairement à la réputation qu'à souvent le film, mais les
répliques se chevauchent et se superposent d'autant que Howard Hawks
pratique un sens du montage différent selon les scènes. Dans le
bureau de Walter, ce dernier et Hildy sont filmés tous les deux la
plupart du temps en plan d'ensemble et debout. Au restaurant, ils
sont assis et le couple Bruce et Hildy est découpé dans un
affrontement irrémédiable, il annonce déjà ce qui va arriver.
Petit à petit, elle écoute le bagout de Walter, ses boniments,
d'autant que lui, au contraire, n'écoute pas Hildy. Quant à Bruce,
il est vite débordé par les événements, il obéit à sa fiancée
qui reporte le départ pour Albany.
Walter
a réussi à se débarrasser provisoirement de ce nouveau fiancé,
lui-même va quitter le cadre du film quand Hildy se rend dans le
mess de presse attenant à la prison où l'exécution doit avoir
lieu. Elle n'est pas seule, une demi-douzaine de journalistes sont là
aussi pour suivre cette exécution. Le condamné a fait appel et doit
être expertisé par un psychologue. C'est déjà le soir. On
remarque deux choses, elle est la seule femme mais aussi chaque
journaliste a sa version de l'histoire de Williams (John Qualen).
Howard Hawks prend un plaisir non feint pour ironiser sur leur
incompétence, on rit de ces hommes qui se contredisent les uns les
autres comme s'ils inventaient l'actualité et les faits. Personne ne
sait ce qui s'est passé.
Le
téléphone est l'objet le plus présent dans le film. Tout passe par
le téléphone et plutôt que discuter directement (Walter avec Duffy
end ébut de film par exemple, en se déplaçant) passe par le coup
de fil. Quand Walter veut éloigner Hildy de Bruce, il appelle Louie
(Abner Biberman), un truand – il en la gueule – qui va piéger le
pauvre fiancé avec les manigances de Walter. Le téléphone est
utilisé avec frénésie dans les scènes qu QG des journalistes, ça
sonne, ça appelle, ça donne des scoops, des fausses infos, des
mensonges. Tout le film devient un vaste défoulement de la parole
fausse dès que le téléphone est saisi. L'objet est le sujet de
moquerie de la part du cinéaste, l'objet de la vérité comme du
mensonge.
Le
spectateur riait jusqu'à présent mais Howard Hawks change
brusquement de ton avec l'arrivée de Mollie Malloy (Helen Mack) dans
la salle de presse. Elle se plaint que les journalistes ont menti et
eux se moquent d'elle avec une violence troublante que le cinéaste a
rarement utilisé. Il se moquait gentiment de la presse, de sa
recherche du scoop, de ses arrangements avec la réalité. Mais il
poursuit dans un plan d'ensemble impressionnant où tous ces hommes
semblent n'être que des prédateurs devant une proie facile. Il
continue avec les magouilles des politiciens car le maire (Clarence
Kolb) brigue un nouveau mandat et une exécution serait bon pour sa
réélection (je n'ai compris pourquoi, mais c'est une récurrence
dans le cinéma américain).
Il
existe ainsi au sein de La Dame du vendredi, film court à peine
1h28', tout une florilège de registres. La comédie pure qui
consiste à une situation matrimoniale compliquée qui se mâtine
parfois de film de pègre avec l'ami Louie, impossible de ne pas
penser à Scarface en le voyant régulièrement piéger le
pauvre Bruce. Un film de journalistes où Howard Hawks montre leur
légèreté. Un film politique féroce et un suspense haletant
puisque les personnages s'affrontent sur le destin de Williams qui
finit par s'évader. La grandeur du film tient dans l’imbrication
de tous ses éléments, tout paraît si simple de filmer tant de
monde, tant de situations, tant de rebondissements. Le cinéma total.
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