En
juin, Insiang, histoire d'amour contrariée dans les
bidonvilles, sortait en salles. Aujourd'hui, Carlotta récidive avec
Manille tourné quelques mois auparavant par Lino Brocka,
cinéaste stakhanoviste. Encore une histoire d'amour compliquée,
encore des personnages déboussolés par la pauvreté, encore ce ton
très documenté sur la vie aux Philippines au milieu des années
1970. Manille avait déjà fait l'objet d'une sortie française
à l'été 1982 et cette version restaurée a été présentée à
Cannes Classics.
La
différence de taille entre Manille et Insiang est la
distance entre les amoureux. Dans Insiang, ils étaient
voisins mais toute la terre se liguait contre eux. Dans Manille,
ils sont séparés dès le début. Julio (Rafael Roco Jr), 21 ans,
débarque de sa campagne pour retrouver Ligaya (Hilda Koronel). Ils
sont beaux, ils sont jeunes, ils s'aimaient dans le village où ils
ont vécu toute leur vie. Elle est partie depuis plusieurs mois, ils
se sont fait des promesses romantiques, il n'a plus de nouvelles
d'elle, il file à Manille.
Grosse
question pour Julio : comment survivre à Manille ? Le
pauvre gars racontera à un de ses amis qu'il était débarque avec
137 pesos et qu'il s'est fait fauché son argent. Alors il va sur les
chantiers, là où on construit des immeubles pour la génération du
boom économique du dictateur Marcos. Le gentil Julio, le ventre bien
vide, doit transporter des gravas dans une brouette sous une chaleur
torride. Il est sera payé 2,50 pesos la semaine. Une misère. Les
ouvriers racontent à Julio comment le patron les arnaque au salaire
avec le système de prêt « Taïwan ».
Les
conditions de travail constituent la toile de fond dans laquelle les
personnages de Lino Brocka tentent de surnager. Il fait encore œuvre
de documentaire, décrivant les salaires misérables, le travail
abrutissant, les patrons esclavagistes, les accidents du travail, les
logements et la promiscuité. Mais il décrit aussi la solidarité
entre les ouvriers, l'amitié qui se crée entre eux et les espoirs
de sortir de leur conditions. L'un rêve d'être chanteur, un autre
fait des études, un troisième se souvient de son passé. Mais Julio
ne pense qu'à sa douce Ligaya.
L'obsession,
scandée comme un stroboscope dans un montage très rapide, pour son
aimée le pousse à passer son temps libre au croisement d'une rue de
Manille dans le quartier chinois. C'est la dernière adresse qu'il a
sur l'unique lettre reçue de Ligaya. Il a repéré Madame Cruz
(Juling Bagabaldo), sorte de mère maquerelle qui s'était présentée
au village en promettant à la mère de la jeune fille monts et
merveilles. Julio pense qu'elle est enfermée dans l'appartement de
Ah Tek, un vieux Chinois pour lequel il a le plus grand mépris, avec
une pointe de racisme.
Ligaya
n'est pas visible pendant la première moitié du film, sauf dans les
courts flash-backs de Julio, autant de souvenirs filmés à grands
coups de chromos, de couchers de soleil, de sourires bienveillants
sur une musique romantique. Lino Brocka oppose ce pur fantasme de
carte postale avec deux séquences sexuelles, la première, toute en
délicatesse, dans un bordel gay où Julio vient se vendre, la
deuxième marque les retrouvailles entre les amoureux, Ligaya raconte
sa vie depuis un an, ce récit est d'une grande violence pour le
jeune couple qui comprend que leur histoire est finie avant même
d'avoir commencé.
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