Marcel
Gotlib vient de mourir à l'âge de 82 ans. Je lis ses textes et
bandes dessinées depuis plus de trente ans, mon grand-frère
achetait Fluide Glacial. Et moi-même je m'étais constitué la
collection de ces bandessinées à l'umour le plus
drôle et sexué qui soit (fautes d'orthographe venant de la graphie
du magazine quadragénaire), Rubrique-à-brac, Dingodossiers,
Cinémastock, Rhââ Lovely, Rhââ-gnagna, Pervère Pépère, Gai
Luron et Superdupont, entre autres joyeusetés où le dessinateur
n'hésitait jamais à sortir les pires horreurs dans une langue des
plus exquises, un français à couper le souffle et des tournures de
phrase rares dans la bande-dessinées. C'est ce qu'on appelle un
orfèvre du langage. Et quel dessin, tout à la fois hyper réaliste
et constamment dans l'exagération, c'est dire s'il savait parler de
notre société, s'il la voyait d'un œil acéré et juste.
Ce
travail critique, dénombrant les incohérences, les aberrations, les
illusions de la France de De Gaulle puis de Pompidou, il l'avait
commencé dès la fin des années 1959. Entre 1965 et 1968, il fait
les Dingodossiers avec René Goscinny, ce dernier écrivait les texte
et Gotlib dessinait. C'était pour le journal Pilote, donc le ton
restait modéré. Plusieurs dossiers sont d'ailleurs consacrés au
cinéma. Avec son sens de l'ironie, il donnait les secrets sur les
figurants, le doublage, les scènes ratées, le spoil des fins de
films, les génériques. A partir de 1970, il dessine et écrit seul
les Rubrique-à-brac. On y trouve une parodie sur L'Enfant sauvage
de François Truffaut, un western de Sergio Leone avec Lucky Luke à
la place de Clint Eastwood, des extraits du « Rectangle vert »
le « nouveau » film de Jean-Pierre Melville, une vision
d'un Chabrol. Puis il quitte le journal Pilote et crée Fluide
Glacial en 1976.
Dans
les albums Rhââ-gnagna, le tome 2 est largement consacré au
cinéma ; on y croise Bruce Lee, on cause travelling, Buster
Keaton au paradis, Eddy Mitchell présente la Dernière séance, il
parodie le Mabuse de Fritz Lang. On trouve aussi le storyboard
de La Dernière cène que Pascal Aubier adaptera en
court-métrage en 1992 : Jésus multiplie le vin et les pains et
veut faire le malin en tirant la nappe sans rien renverser, mais tout
tombe dans un grand fracas. Tout va exploser, son ton, son dessin
surréaliste, hyperréaliste, postréaliste avec Rhââ Lovely que je
considère comme son chef d'œuvre, superbes pages sur les goûts au
cinéma avec Claire Brétecher qui donne son avis sur quelques films
du printemps 1973, relectures ultra sexuelles de La Fiancée de
Frankenstein et de L'Exorciste, sans doute sa plus grande
réussite où toutes ses thématiques sont réunies.
Quant
au double album Cinémastock, il est consacré (en partie) à une
nouvelle vision des films classiques. Gotlib est au scénario (avec
cette si belle langue) et Alexis au dessin (ce que j'ai toujours
regretté). Leur relecture des Malheurs de Sophie puis de
Notre-Dame de Paris sont des merveilles de cruauté. Son
amour, sa passion et sa connaissance du cinéma ne l'ont hélas
jamais mené à y travailler. Pour Le Viager de Pierre
Tchernia, il a dessiné la courte partie d'animation, dans un style
très enfantin pour explique ce qu'était un viager. Il a écrit le
scénario de Les Vécés étaient fermés de l'intérieur le
premier long-métrage de Patrice Leconte, film dont je ne garde aucun
souvenir. Il a aussi fait quelques rares fois l'acteur. Quoi qu'il en
soit, il faut lire, relire et lire encore une fois Gotlib. Sur la
couverture de Rubrique-à-brac tome 4, il s'était dessiné en Alex
de Orange mécanique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire