Après
avoir revu Charles Chaplin chausser ses patins à roulettes dans
Charlot patine, j'ai avancé de 20 ans dans le temps pour
regarder Les Temps modernes. En 1936, il y est aussi habile à
glisser, à faire des pirouettes, à même prendre le risque de se
bander les yeux, tout ça pour épater la gamine (Paulette Goddard).
Il ne s'est pas encore rendu compte qu'il patine sur un étage où la
barrière est enlevée pour faire des travaux. La danse est délicate,
toutes en boucles, telle une parade amoureuse que son personnage
offrirait à la jeune femme.
Plus
tard dans le film, après une séparation et des retrouvailles, le
vagabond et la gamine travaillent dans le même restaurant, tenu par
Henry Bergman (l'acteur qui incarnait la grosse bonne femme dans
Charlot patine). Là, Charlot exécute son fameux numéro de
la chanson en charabia et avant cela il donne une danse où il avance
en arrière, un peu comme la moonwalk de Michael Jackson. Si la
chanson ne m'a jamais fait rire (je n'ai jamais compris cette
addition de rires dans la bande sonore), ses mouvements et ses pas ne
cessent de m'étonner.
Avant
d'arriver à cette séquence, la toute première où Charles Chaplin
fait entendre sa voix, mais sans parler, uniquement en chantant, 9
ans après les débuts du cinéma parlant, son personnage subi tout
un parcours semé d’embûches. Cette voix, il la veut la plus
universelle possible. Il ne s'agit pas pour lui de parler ou chanter
en anglais, car l'acteur cinéaste a bien conscience de l'étendue de
sa réputation et de sa popularité. Il affirme être la voix de la
classe populaire, une voix universelle qui n'a pas besoin du cinéma
parlant pour s'exprimer.
Cette
classe ouvrière, cette masse laborieuse, elle est présente dès le
début du film. Après un carton ironique sur ce mythe américain
qu'est la « poursuite du bonheur », Charles Chaplin
alterne un plan de moutons et un plan d'ouvriers sortant d'une bouche
de métro. Le message est double, cinématographiquement il crée du
comique, socialement il annonce le parti pris politique des Temps
modernes, le travail crée de l’aliénation, et toute la
première séquence dans l'usine, avec ses immenses machines qui
mangent les ouvriers le démontre.
Le
petit ouvrier Charlot exécute le même geste toute la journée, et
on veut même le faire travailler pendant son repas de midi. Un
ingénieur, savant fou bien évidemment à la solde du patronat,
propose une machine à manger qui devient vite incontrôlable.
Derrière le comique, voici l'un des nombreux exemples de la
modernité qui s'avère vite être des régressions. Les gestes
répétitifs des ouvriers sur la chaîne de montage (ils construisent
quels objets, l'usine fabrique quoi, on ne le saura jamais)
conduisent le pauvre Charlot à la folie. Une fois sa pause entamée,
il continue ses gestes, mécaniquement.
La
première fois que l'on voit le patron de l'usine, il fait un puzzle,
puis lit les aventures de Tarzan dans son journal, avant d'ordonner,
grâce à un système de vidéo surveillance (Chaplin avait déjà
tout prévu donc), à un colosse torse nu, une sorte d'ouvrier
servile et docile, d'augmenter encore les cadences déjà infernales.
Comme pour ces moutons d'ouvriers, le parallèle entre l'oisiveté du
patron et ses exigences de rendement est le cœur politique de
Chaplin dans Les Temps modernes, ce sont les ouvriers qui
triment pour que le patron puisse lézarder.
Lire
le journal, Charlot le fait également plus loin dans le film, mais
en prison où il vit tranquillement. La case prison est récurrente
dans Les Temps modernes. Si Charlot devient un prisonnier
modèle qui clame qu'au moins là-bas il a un toit et un repas, ce
n'est pas parce qu'il l'a choisi. C'est un concours de circonstance
qui le pousse à aider les matons contre des prisonniers qui
s'évadent, en effet Charlot avait reniflé, malgré lui, de la
cocaïne et pris la défense de ceux qui ne cessent de l'opprimer
depuis le début du film.
Ce
qui m'a toujours marqué dans Les Temps modernes, c'est la
critique acerbe de la police dans le film, sa position de force de
répression au service des riches, sa haine des ouvriers et des
pauvres. Après son nervous breakdown (un burn-out, déjà en
1936), Charlot se saisit d'un drapeau et se voit être suivi par des
manifestants (les banderoles sont dans toutes les langues).
Evidemment la police et les flics frappent à coups de matraques les
manifestants. La violence est inhérente à la police dit Charles
Chaplin, elle ne peut pas s'empêcher de détruire l'homme libre.
Ce
qui est très beau dans ce film de Chaplin et qui en fait un génie
du cinéma, c'est justement qu'il parvient à trouver l'équilibre
entre les éléments politiques, le comique des gags et l'histoire
d'amour, un fragile équilibre et non une simple succession de ces
éléments. Les actions de chaque personnage, ses motivations et ses
conséquences sont intimement liées. Elles s'enchaînent
inéluctablement telle la mécanique des machines dans lesquelles
Charlot s'engouffrait malgré lui. Et la gamine est le grain de sable
qui vient faire dérailler ces terribles machines. A eux deux, ils
peuvent enfin sourire et partir vers la poursuite de leur bonheur.
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