Le
petit bout d'Amérique que filmait Joe Dante en 1984 dans Gremlins,
c'était déjà celui qu'il filmera dans The 'Burbs, un
village de gentils petits blancs qui s'apprêtent à fêter Noël en
famille et qui se réjouissent déjà d'ouvrir leur cadeau au pied du
sapin. 1984, plus que le titre du roman d'Orwell, c'est la fin de la
première présidence Reagan et ce fut dans cette première moitié
des années 1980, le règne de l'argent, du fric, du pognon. Les
personnages de Gremlins ne parlent que de ça, l'argent est le
sujet central du film.
Le
boulot de Billy Peltzer (Zach Galligan) consiste à travailler dans
la banque de la petite ville, il est un aimable guichetier même
quand la terrible Madame Deagle (Polly Holliday) double tout le monde
à la queue pour retirer ou déposer de l'argent, pour se plaindre
que le chien de Billy a cassé un objet chez elle. Non, elle ne veut
pas être remboursée, elle veut la peau du gentil toutou. Elle
semble posséder tout le village et réclame son dû aux pauvres (la
gentille maman et ses deux mômes malades).
Le
formidable personnage de Madame Deagle est bien entendu directement
inspiré de celui de Lionel Barrymore dans La Vie est belle.
La maman de Billy regarde d'ailleurs le film, sempiternelle
rediffusion du classique de Frank Capra à la télé, pendant la
préparation du repas. Madame Deagle est une femme acariâtre,
égoïste, mesquine. Elle est l'inverse même de Gizmo, peluche toute
en douceur, toute en rondeur, tout en sourire quand elle est une
grande gigue, une vieille femme aigrie qui ne sourit jamais, bien au
contraire. Mais quel personnage fascinant.
Pour
supporter le ton à la Capra de film pour enfants de Gremlins,
il faut attendre que les trois règles édictées par le petit-fils
du vieux Chinois qu'incarne Keye Luke dans le prologue soient
bafouées. Celle de l'eau est causé par le gamin que joue Corey
Feldman, hop, une ribambelle de gizmos dégénérés naissent
instantanément. Puis, la transformation en créatures démoniaques,
à l'image de Dr. Jackyll et Mr. Hyde. Et évidemment, ce sont ces
affreux gremlins qui sont intéressants plus que Mogwai, comme la
vieille Deagle est plus intéressante que ce fade Billy.
Le
monde que décrit Gremlins est un monde en péril. Chômage
partout. Murray Futterman (Dick Miller) vient de perdre son boulot et
accuse les étrangers de tous les maux. Consumérisme à tout crin.
Le père de Billy (Hoyt Axon) cherche à vendre sa camelote, ses
produits inutiles à toux ceux qu'il rencontre. Dettes. Kate (Phoebe
Cate) aide bénévolement au bar. Gaspillage effréné des ressources
naturelles, le vieux Chinois en fin de film affirme clairement que
cette histoire d'eau sur Mogwai doit faire réfléchir sur la
gaspillage de l'eau et sur l'exploitation des animaux.
Les
gremlins sont ainsi la conscience de l'Amérique, leur âme noire.
Une mauvaise conscience qu'incarne le gremlin Stripe au nom qui
évoque le drapeau américain (Stars and Stripes, des étoiles et des
bandes). La mise à sac de la ville commence au cinéma lors de la
projection de Blanche Neige et les sept nains, mais elle était
annoncée avec L'Invasion des profanateurs de sépultures qui
passe à la télé et se termine dans un centre commercial, sans
doute là où les peluches de Gizmo et autres produits dérivés ont
été vendus, telle une mise en abyme sarcastique du propos du film.
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