samedi 24 décembre 2016

Gremlins (Joe Dante, 1984)

Le petit bout d'Amérique que filmait Joe Dante en 1984 dans Gremlins, c'était déjà celui qu'il filmera dans The 'Burbs, un village de gentils petits blancs qui s'apprêtent à fêter Noël en famille et qui se réjouissent déjà d'ouvrir leur cadeau au pied du sapin. 1984, plus que le titre du roman d'Orwell, c'est la fin de la première présidence Reagan et ce fut dans cette première moitié des années 1980, le règne de l'argent, du fric, du pognon. Les personnages de Gremlins ne parlent que de ça, l'argent est le sujet central du film.

Le boulot de Billy Peltzer (Zach Galligan) consiste à travailler dans la banque de la petite ville, il est un aimable guichetier même quand la terrible Madame Deagle (Polly Holliday) double tout le monde à la queue pour retirer ou déposer de l'argent, pour se plaindre que le chien de Billy a cassé un objet chez elle. Non, elle ne veut pas être remboursée, elle veut la peau du gentil toutou. Elle semble posséder tout le village et réclame son dû aux pauvres (la gentille maman et ses deux mômes malades).

Le formidable personnage de Madame Deagle est bien entendu directement inspiré de celui de Lionel Barrymore dans La Vie est belle. La maman de Billy regarde d'ailleurs le film, sempiternelle rediffusion du classique de Frank Capra à la télé, pendant la préparation du repas. Madame Deagle est une femme acariâtre, égoïste, mesquine. Elle est l'inverse même de Gizmo, peluche toute en douceur, toute en rondeur, tout en sourire quand elle est une grande gigue, une vieille femme aigrie qui ne sourit jamais, bien au contraire. Mais quel personnage fascinant.

Pour supporter le ton à la Capra de film pour enfants de Gremlins, il faut attendre que les trois règles édictées par le petit-fils du vieux Chinois qu'incarne Keye Luke dans le prologue soient bafouées. Celle de l'eau est causé par le gamin que joue Corey Feldman, hop, une ribambelle de gizmos dégénérés naissent instantanément. Puis, la transformation en créatures démoniaques, à l'image de Dr. Jackyll et Mr. Hyde. Et évidemment, ce sont ces affreux gremlins qui sont intéressants plus que Mogwai, comme la vieille Deagle est plus intéressante que ce fade Billy.

Le monde que décrit Gremlins est un monde en péril. Chômage partout. Murray Futterman (Dick Miller) vient de perdre son boulot et accuse les étrangers de tous les maux. Consumérisme à tout crin. Le père de Billy (Hoyt Axon) cherche à vendre sa camelote, ses produits inutiles à toux ceux qu'il rencontre. Dettes. Kate (Phoebe Cate) aide bénévolement au bar. Gaspillage effréné des ressources naturelles, le vieux Chinois en fin de film affirme clairement que cette histoire d'eau sur Mogwai doit faire réfléchir sur la gaspillage de l'eau et sur l'exploitation des animaux.

Les gremlins sont ainsi la conscience de l'Amérique, leur âme noire. Une mauvaise conscience qu'incarne le gremlin Stripe au nom qui évoque le drapeau américain (Stars and Stripes, des étoiles et des bandes). La mise à sac de la ville commence au cinéma lors de la projection de Blanche Neige et les sept nains, mais elle était annoncée avec L'Invasion des profanateurs de sépultures qui passe à la télé et se termine dans un centre commercial, sans doute là où les peluches de Gizmo et autres produits dérivés ont été vendus, telle une mise en abyme sarcastique du propos du film.




















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