Je
connais peu la carrière cinématographique de Michèle Morgan,
l'actrice née en 1920 et décédée mardi 20 décembre avait été
l'une des vedettes du cinéma des années 1930 et 1940. Evidemment,
comme tout le monde, je connais la célèbre scène avec Gabin « t'as
de beaux yeux tu sais », et elle répond « embrassez-moi »,
mais ce cinéma Quai des brumes, La Symphonie pastorale,
Les Grandes manœuvres, je n'ai jamais appris à l'aimer, à
peine à le connaître. C'est une question de bifurcation de ma
sensibilité critique. En revanche, je connais bien les films de
Claude Chabrol, le seul cinéaste estampillé Nouvelle Vague avec
l'actrice ait joué, et encore dans un de ses films en costumes.
Michèle
Morgan a le haut de l'affiche, même si son rôle est secondaire.
Elle apparaît dans le générique de Landru en tout premier à
gauche de celui de Danielle Darrieux (qui aura 100 ans le 1er mai
2017). Si cette dernière est la troisième victime de Landru
(Charles Denner, méconnaissable physiquement, impressionnant), le
personnage de Célestine Buisson que joue Michèle Morgan est la
première femme qu'il contacte pour l'assassiner. Pas de chance pour
Landru, mais beaucoup pour Célestine, elle est suivie de sa sœur
bien encombrante. Elles ne se quittent jamais. Célestine aura trois
séquences où Chabrol la filme en gros plan, il scrute ses yeux
comme si, lui aussi, comme Carné, Grémillon et Allégret, il
voulait les imprimer à jamais sur sa pellicule.
Dans
son film éponyme, Landru tue une dizaine de femmes. Tout se passe
pendant la première guerre mondiale, les hommes sont tous envoyés
au front, sauf Henri Landru, père de famille nombreuse qui cherchera
des femmes seules mais riches pour les dépouiller en leur faisant
signer une procuration. Landru a passé une petite annonce dans un
journal. Le rituel est ensuite le même pour toutes. Il les rencontre
au Jardin du Luxembourg devant la fanfare, elle ont une fleur à la
main, il leur parle devant le bassin, invente une nouvelle histoire
sur sa vie, chaque fois Charles Denner fait savourer les fins
dialogues que Françoise Sagan a concocté, l'un des plaisirs du film
vient de la voix de son acteur.
Le
merveilleux paradoxe de Landru est d'être drôle constamment
avec un sujet et des situations pareils : la guerre, les
assassinats, le vol. Claude Chabrol manie avec dextérité le gag
récurrent. Premier running gag, le boniment que sort Landru à ces
femmes seules dans Paris sans homme. Elles ne résistent pas
longtemps à sa belle barbe. Deuxième gag, l'achat du billet à la
gare pour aller à Gambais, « deux allers et un seul retour »
dit-il, sous le regard de plus en plus complice de la guichetière.
Troisième gag, filé cette fois, à la maison de Gambais, Chabrol
filme la cuisinière où il brûle ses victimes, puis les cheminées
et termine sur les voisins anglais qui se plaignent de l'odeur.
(Difficile de ne pas penser aux camps nazis et je ne sais pas si
Chabrol a eu cette intention)
Les
femmes défilent dans cette masure de Gambais. Outre Michèle Morgan
et Danielle Darrieux, on retrouve Catherine Rouvel et Stéphane
Audran, évidemment, dans le rôle féminin le plus important, à
égalité avec celui de l'épouse de Landru jouée par Françoise
Lugagne. Dominique Zardi et Henri Attal jouent deux gendarmes dans le
procès final. Raymond Queneau et Jean-Pierre Melville jouent
Clemenceau et Mandel. Et j'aimerais finir en parlant des décors qui
contribuent à l'effet théâtre que Chabrol veut donner à son film
et qui, paradoxe encore, procurent un certain naturel. Des décors
très colorés, parfois surchargés, à la frontière de la
vulgarité, Michèle Morgan au milieu de ce décorum, c'est presque
de l'avant-garde.
PS :
j'ai toujours regretté que Gérard Oury, l'époux de Michèle Morgan
depuis le début des années 1960, n'ait jamais fait tourner
l'actrice dans une de ses comédies. J'imagine qu'elle aurait été
parfaite dans le rôle de l'épouse de Pivert dans Les Aventures
de Rabbi Jacob, rôle tenu par Suzi Delair, qui aura 100 ans le
31 décembre 1917.
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