Une
limousine s'engouffre dans le sous-sol du World Trade Center, il en
sort Peter Fallow (Bruce Willis), dans un costard blanc, lunettes de
soleil sur le nez et bouteille de Bourbon à la main. Ivre mort, il
est conduit en titubant par une assistante sur un chariot qui doit
l'emmener vers la salle où un large public l'attend pour la sortie
de son livre. Fallow flirte avec toutes les femmes, il se conduit en
goujat, il change de chemise en marchant, il veut s'enfermer seul
dans le monte-charge avec une jeune femme et continue de boire.
Tout
cela, cette scène d'ouverture, Brian De Palma le filme en plan
séquence, de l'ombre de ce sous-sol impersonnel, gris et fonctionnel
à la lumière de néons devant un parterre d'hommes en costards et
de femmes en robes de soirée. Bruce Willis se présente en voix off,
avec sa pointe habituelle d'ironie dans la voix. Il décrit les
coulisses de sa réussite littéraire et va lancer le long flash-back
des dessous de son enquête journalistique. Montrer les dessous d'une
affaire sordide, pour le cinéaste, cela consiste d'abord à
commencer son film dans un sous-sol peu reluisant avec un soûlard
irrespectueux.
Dès
le plan suivant, la caméra se dirige dans les beaux quartiers Park
Avenue, dans ces appartements tenus par l'un de ces doormen
obséquieux. Bienvenue dans l'immense appartement en duplex de
Sherman McCoy (Tom Hanks) et de son épouse Judy (Kim Cattrall),
couple de la bourgeoisie newyorkaise qui pense que tout lui est dû
et qui étale sa richesse. Ce soir-là, Sherman décide d'aller
promener le toutou de madame malgré la pluie. Elle a beau essayer de
le convaincre de ne pas sortir – et le cabot traîne lui aussi des
pattes, il veut absolument aller dehors.
C'est
que Sherman a un coup de fil à passer à Maria (Melanie Griffith),
sa maîtresse. Brian De Palma emploie, après Body double,
l'actrice pour un personnage de femme sotte en apparence (elle se
trompe sur tous les mots, montrant son absence de vocabulaire) mais
qui sait mener sa barque. Le modèle du personnage de Maria Ruskin
est celui de Lorelei dans Les Hommes préfèrent les blondes.
Une femme ambiguë mais sûre d'elle. Dans Le Bûcher des vanités,
Maria a épousé une homme riche et plus âgé qu'elle. Elle changera
d'amant comme de manteau de fourrure.
Sherman
ne quitte son beau domicile de Park Avenue que pour plusieurs
raisons. D'abord aller travailler à Wall Street où il est un trader
impitoyable et aventureux. Pour aller s'ennuyer à l'opéra où l'on
joue Don Juan et enfin pour rejoindre Maria qui loge dans un petit
appartement près de la 1ère avenue et du pont Queensboro. Un
appartement à loyer plafonné que Maria sous-loue, ce qui montre le
niveau de corruption de tous ses personnages que Brian De Palma
s'amuse à filmer la plupart du temps dans des contre-plongées
accusateurs.
C'est
ainsi parti pour le développement nodal du film, celui par lequel la
crise arrive. Sherman et Maria se trompent de sortie d'autoroute
après une soirée, au lieu d'arriver à Manhattan, ils se retrouvent
dans le Bronx. La séquence est assez amusante. Maria, vêtue de son
manteau de fourrure, demande avec une certaine innocence qui confine
à la stupidité où sont passé les Blancs. Puis, ils sont face à
deux gars, Maria prend le volant tandis que Sherman était sorti de
sa Mercedes et elle renverse l'un des deux hommes, un jeune Noir. Et
ils prennent la fuite.
Brian
De Palma met en scène sans se fouler la descente aux enfers de
Sherman en parallèle avec la montée vers la gloire de Peter Fallow.
Ce dernier est montré comme un alcoolique notoire que tout le monde
évite, un enquiquineur sans relation, un journaliste médiocre.
C'est évidemment pour ces défauts qu'il est choisi quand le
procureur Weiss (F. Murray Abraham) décide de saquer un Blanc, un
Wasp, un golden boy, soit Sherman McCoy, pour se faire élire et
engranger les voix des habitants des quartiers les plus pauvres de
New York City.
Ce
n'est pas le meilleur film de son auteur, loin de là, mais Brian De
Palma n'avait pas vraiment le choix après le bide monumental de
Outrages (Casualties of war). Outre ce plan séquence
d'ouverture, on trouve quelques effets de sa signature dans le film,
un split screen quand le pasteur du Bronx s'exprime, trois
demis-bonnettes typiques de son style (mises en lumière par Vilmos
Zsigmond) dont l'une a lieu lors d'une soirée, juste après l'opéra,
où l'acteur de la pièce (Andre Gregory) semble faire office tout à
la fois de chœur antique et d'oracle qui annonce la chute prochaine
de Sherman McCoy.
Il
est entré dans le projet du Bûcher des vanités une fois les
acteurs choisis. Brian De Palma laisse donc jouer Tom Hanks et Bruce
Willis en sourdine. En revanche, il demande aux seconds rôles d'être
très expressifs, à la limite du grotesque (dans l'acception
théâtrale du terme). Morgan Freeman dans le rôle du Juge
intransigeant, Saul Rubinek dans celui du procureur adjoint vicieux,
F. Murray Abraham dans le personnage du candidat mégalomane et enfin
John Hancock dans le rôle du pasteur Bacon, vénal et grandiloquent.
C'est pour ces personnages que Le Bûcher des vanités est
encore un peu regardable.
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