Le
voilà le grand film politique que j'attendais. Depuis quand
d'ailleurs j'attendais ça ? Depuis Blackkklansman,
ça fait un peu plus de six mois. Spike Lee s'attaquait aux racines
du mal qui rongent les USA, Adam McKay dans Vice
déchiffre avec génie et acuité les marionnettistes qui tirent les
ficelles du pouvoir depuis 40 ans. Ce récit est fascinant du début
à la fin. Le cinéaste n'a jamais semblé plus à l'aise que dans ce
film, qu'il a écrit. Ne pas rater la courte séquence au milieu du
générique de fin, les jeux de mots ne sont pas forcément très
bien traduits mais tout cela décrit l'actuelle bataille entre
libéraux et fans de Trump qui a lieu notamment dans les commentaires
des vidéo youtube ou des articles en ligne avec ses termes
vindicatifs.
Jeux
de mots, Vice
ce titre fonctionne dans nos deux langues anglais et français, le
vice contre la vertu et le vice-président Dick Cheney (Christian
Bale), sa vie, son œuvre, son cul, de 1963 dans le patelin de
Carter, Wyoming 1963 jusqu'à aujourd'hui. Son cul, c'est sa vie
amoureuse, Cheney se marie avec Lynn (Amy Adams, tailleur dès sa
jeunesse estudiantine à Yale où son mari se fait vite virer pour
cause d'alcoolisme, de bagarre dans le bars. Comme le dit la
judicieuse voix off (celle de Jesse Plemons, il expliquera plus tard
les rapports qu'il a avec Cheney), Dick Cheney était ce que l'on
appelle aujourd'hui un loser, un raté. Et ce raté deviendra l'homme
politique le plus important de ces 40 dernières années.
Sa
vie privée est totalement liée à sa vie publique, Lynne soutient
sans faillir son mari qui se voit enfin offrir un jour un poste
d'assistant à la Chambre des Représentants. Superbe scène de son
entrée dans le monde politique où, sur un coup de dé, il décide
d'être Républicain parce que son coturne choisit un Démocrate. Il
devient l'assistant de Donald Rumsfeld (Steve Carell), l'homme le
plus vulgaire de Washington DC, et l'acteur s'en donne à cœur joie,
retrouvant la verve des premiers films d'Adam McKay. Car ce qui
compte dans Vice,
c'est ce ton acerbe, un mélange de cynisme pur et de sérieux total,
l'essence du burlesque. Adam McKay ne se prive pas de faire exploser
sa narration pour tenir le rythme, l'un des nombreux exemples est
cette fin si Cheney s'était contenté d'être un businessman.
Un
cœur gravé sur le tronc d'un arbre, en son centre les deux prénoms
Dick + Lynn. Le cœur est au centre du récit, celui de Dick Cheney
est défaillant, il fait un AVC lors de sa première campagne
électorale sous l'élection de Jimmy Carter. Mais assez vite, il ne
peut faire campagne et c'est Lynn qui arpente les villages et les
ranchs du Wyoming. Elle est d'abord peu adroite, elle ne sait pas
bien parler et les conseillers commencent à douter mais elle trouve
les bons mots pour plaire aux rednecks, pour parler à leur cœur.
C'est ce même langage que les populistes utilisent encore et
toujours, vantant le bon sens commun (celui du cœur) et dénigrant
l'intellect (saletés de Newyorkais et de bureaucrates). Des attaques
cardiaques, il en aura plusieurs mais chaque fois, il les décèle
avant même leur arrivée. Cheney prévoit tout surtout le pire.
Laisser
son épouse parler lors des meetings n'était pas prévu mais cela
rentre dans la logique du personnage que se construit Dick Cheney
parfaitement résumé par Donald Rumsfeld « j'aime bien ce que
tu fais : tu ne parles pas ». Effectivement, le futur
vice-président de George W. Bush (ici incarné avec délices par Sam
Rockwell, c'est-à-dire en cabotinant) est un homme qui observe. S'il
était un animal, un serait un crocodile tapi dans la vase et qui
bondit pour prendre sa proie. Cette métaphore du charognard
cherchant sa proie est décelable dans plusieurs moments du film,
surtout quand Dick Cheney a enfin accès à la Maison Blanche,
d'abord comme assistant (lumière glauque, littéralement) puis comme
vice-président, dans une obscurité qui n'est pas sans rappeler
Nosferatu près de semer la mort.
Le
film, sous des aspects de comédie populaire, n'est pas simple à
suivre, non pas tant à cause de l'avalanche de noms et d'événements
successifs mais à cause de la violence du système qu'il décrit par
le menu, comment ce système ultra-libéral mais liberticide a été
créé de toute pièces, comment il a été vendu aux Américains,
comment il est utilisé pour cacher le reste, le business. Tout est
une question de business, de pouvoir (la traversée du couple Cheney
lors d'une réception est l'un des moments les terrifiants), de
garder le pouvoir. Sans cet aspect de comédie – et c'est une
comédie extrêmement réussie avec de superbes idées qu'il faut
découvrir sur grand écran – Vice
serait un film d'horreur. Simplement, il est un film d'horreur, on
est en train de le vivre encore et encore.
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