Le
puissant chef Viking Ragnar (Ernest Borgnine) a deux fils. L'un est
borgne, l'autre est manchot, l'un est blond, l'autre est brun, l'un
est son héritier au trône, l'autre est un enfant bâtard. Einar
(Kirk Douglas) et Eric (Tony Curtis) ne se connaissent pas encore et
tant qu'ils ne se connaissent pas ce bon vieux Agnar peut festoyer
joyeusement avec force victuailles et bières lors de banquets
opulents que Richard Fleischer filme en longs plans larges, histoire
de bien montrer la richesse des décors et de la reconstitution.
Ragnar
a le rire le plus fort de toute l'assemblée. Ernest Borgnine ne se
prive pas de le faire résonner dans son antre, ce qui lui sert de
palais dans cette contrée de païens. Ce rire est celui d'un
barbare, d'un païen mais aussi d'un bon vivant. Les enluminures qui
ouvrent Les Vikings (en lieu et place d'un générique, chose
inédite en 1958) décrivent les vikings comme des monstres et le
film va le démontrer. Mais pour cela, il faut les comparer à leurs
ennemis, ces Angles chrétiens qui règnent en Northumbrie.
Face
à ces enluminures, Richard Fleischer oppose un succédané de récit
biblique mâtiné de surnaturel, l'histoire d'Eric nourrisson est
celle de Moïse. En Angleterre, un usurpateur chaparde le trône de
l'enfant que sa mère préfère envoyer en exil, l'abandonner aux
flots de la mer du nord, non sans avoir laisser un morceau de l'épée
royale, sceptre nécessaire au souverain, en médaillon au cou de
l'enfant. L'épée se disloque, une annonce des prochains troubles de
la souveraineté corrompue d'Aella (Frank Thring). Récupéré par
les Vikings, Eric est devenu l'un de leurs esclaves.
Le
film tourne tout entier autour des ces histoires de paternité, de
fratrie. Sans aucun amour, ce n'est que de la haine. Eric est
l'esclave de son demi-frère, encore une fois sans le savoir, et
chacun se cherche comme s'il se doutait de quelque chose, c'est cet
épisode du faucon d'Eric qui arrache l’œil d'Einar. Il y a chez
Kirk Douglas un certain délire masochiste a avoir voulu (il en est
responsable, il était producteur du film) à se défigurer ainsi,
lui le sex symbol de Hollywood dans les années 1950, manière de
dire « regarder mon jeu, pas mon visage ».
Puisqu'on
en est aux mutilations, la perte de la main gauche d'Eric est aussi
une affaire de famille, au royaume de ses origines, en Northumbrie.
Aella lui tranche la main de son épée, jaloux de ce retour du fils
prodigue, car Eric n'est pas seulement l'héritier légitime du trône
mais il est aussi un rival pour celle qui lui était destinée, la
princesse de Galles Morgana (Janet Leigh). Car Aella est resté
célibataire depuis son accession au trône et sans enfant. Il est
surtout montré très maniéré ce qui ne laisse rien dissimuler de
sa sexualité et de son dégoût des femmes.
L'arrivée
de Morgana dans le récit s'accompagne par une autre rivalité, celle
d'Einar qui ne supporte pas non plus qu'elle soit amoureuse d'Eric.
Seule Morgana connaît la véritable identité d'Eric et elle ne sera
révélée que lors de ce fameux combat entre les deux-demis frères
en haut de cette forteresse anglaise, superbe combat de coqs tout en
plans en plongée et contre-plongée dans une lutte pour le pouvoir
et la suprématie sexuelle. Le tout est symbolisé tout autant par la
tourelle proéminente que par l'épée, par ailleurs donnée comme
élément d'accès vers la mort.
Comme
dit plus haut, ce sont deux civilisations qui se cognent, les
Chrétiens ne valent guère mieux que les païens vikings, si l'on en
juge par le « raffinement » avec lequel Agnar est mis à
mort par Aella (jeté dans une fosse aux loups). Les Vikings vivent
dans un monde dirigé par des forces obscures (le dieu Odin dont le
nom scande chaque phrase de Ragnar après chaque rire). Les Vikings
ont beau faire des attaques en terre anglaise, des razzias et des
tueries, ils ont peur comme des enfants de la mer, du brouillard et
de la nuit.
La
boussole sera l'arrivée de la vraie civilisation, non pas basée sur
la religion ou des croyances telluriques. Cette boussole en forme de
poisson est utilisée par un autre esclave (Edric Connor), un
Africain comparse d'infortune d'Eric. Elle guide Eric à travers le
brouillard, elle symbolise la modernité. Il faut voir dans ces
scènes une allégorie sur le mélange des cultures, un éloge des la
mixité et une critique de ces prétendues puretés de race que les
personnages défendent avant de mourir piteusement dans d'atroces
souffrances.
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