Pour
son rôle de mère butée, de monstre d'incompréhension incapable de
voir la souffrance de sa fille, Karin Viard a reçu un César dans
Les Chatouilles. La composition de l'actrice est supérieure
au film. Le cinéma français s'attaque donc à la pédophilie, Les
Chatouilles, Un amour impossible de Catherine Corsini,
Mauvaises herbes de Kheiron et cette semaine Grâce à
Dieu. A cette conférence des cardinaux dont parlent les journaux
en ce moment, le Pape François a dit que les prêtres pédophiles
étaient « l'instrument de Satan », réponse fallacieuse
alors que c'est le fonctionnement de l'église catholique qui permet
ces crimes.
C'est
Bernard Verley qui incarne dans le film de François Ozon ce père
Bernard Preynat. L'acteur rohmérien, celui qui fut le général
fantasque des adaptations loufoques d'Agatha Christie pour Pascal
Thomas, campe un homme éteint, à la douceur qui cadre mal avec le
mal qu'il a fait aux scouts dont il avait la charge pendant une
vingtaine d'années. François Ozon parvient faire échapper son film
du créneau « dossier de l'écran » en refusant le
manichéisme tout en démontrant clairement l'hypocrisie de l'église,
ce qui est une bonne surprise car ses quatre films précédents
étaient décevants (Jeune et jolie, Une nouvelle amie, Frantz,
L'Amant double).
La
folle idée de mise en scène de François Ozon est le jeu de piste,
comme une enquête qui ne dirait pas son nom où les victimes vont
apprendre à connaître l'existence les unes des autres par hasard.
Commencer par le personnage de Melvil Poupaud rassure sur la capacité
du cinéaste à créer des figures tout à la fois concrètes (on
sait tout d'eux dès les premières scènes) et secrets (le film va
en révéler des dizaines). Cet Alexandre est le parfait catholique
de droite, époux d'une Marie (Aurélia Petit, géniale) et papa de
cinq enfants. La famille tout droit sortie d'une caricature.
Mais
ce que réserve la première demi-heure de Grâce à dieu est une
variation extraordinaire des Liaisons dangereuses made in Lyon. Le
récit d'Alexandre est polyphonique et épistolaire, fait de
dialogues qui puent le catholicisme bon teint, le béni oui-oui et le
faux-cul. On entend des voix doucereuses, Alexandre, Monseigneur
Barbarin (François Marthouret), de sa secrétaire Régine Maire
(Martine Erhel), le père Preynat, mais c'est l'horreur d'un passé
d'enfant violé par le curé qui est décrit dans ces courriers et
missives entre quatre.
Cette
correspondance a pour but de se plaindre que ce curé pédophile (ou
pédosexuel comme demande avec cynisme de le dire Barbarin) exerce
encore alors que le curé ne nie aucun des faits (là encore, pas de
soubresauts scénaristiques, pas d'engueulades entre personnages, pas
de confrontations outrancières). C'est ce que demande Alexandre.
Barbarin et le diocèse ont un autre but : encore une fois
étouffer l'affaire. Pour ça, une méthode, le pardon, la prière et
qu'Alexandre serre la main du curé. La scène la plus terrible.
Cette
poignée de mains semble surréaliste, on va dire que la réalité
dépasse la fiction et les nouveaux amis d'Alexandre n'y croient pas.
Car François Ozon tente une chose délirante (et ça marche) l'anti
slasher. Dans un slasher, les jeunes héros disparaissent au fur et à
mesure quand leur bourreau sévit. Dans Grâce à dieu, les
victimes commencent enfin venir à l'écran quand on découvre
l'ampleur des dégâts du curé pédophile. Certes j'exagère un peu
la comparaison inversée, mais le film prend parfois des allures de
film d'horreur. A Hollywood, on l'aurait tourné ainsi.
Le
récit se prolonge avec François (Denis Ménochet), avec Gilles
(Eric Caravaca) et Emmanuel (Swan Arlaud). Le « mais c'est le
p'tit Emmanuel » quand le vieux curé voit tant d'années après
sa victime adulte est un crève-cœur. Ces personnages, trois
nouvelles victimes servent à prolonger, entourer et structurer le
récit d'Alexandre. Quelle que soit la portée politique et sociale
du film, elle est profonde et importante, ce qui plaît dans Grâce
à dieu est cette mise en scène du récit et, comme toujours
chez François Ozon, ce plaisir des acteurs à jouer. Ça n'a l'air
de rien comme ça de le dire mais c'est essentiel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire