« Taxi,
suivez cette voiture ». La phrase est le cliché par essence du
film policier, de la filature qui s'engage entre un policier et celui
qu'il pourchasse. Dans Assassin sans visage, Richard Fleischer et son
scénariste Anthony Mann ne se plient pas à cette rengaine mais
dévient vers une autre voix lançant un récit sur les chapeaux de
roue. La phrase est prononcée par Ann Gorman (Dorothy Patrick) et
elle a décidé de suivre le lieutenant de police Harry Grant
(William Kundingan).
Elle
se sent obligée de le suivre parce qu'il refuse, avec un mépris et
un dédain ostentatoires, de lui donner la moindre information sur le
serial killer qui sévit dans la ville. Déjà six meurtres et aucun
suspect. Ann Gorman est journaliste, enfin elle bosse pour un journal
à sensations, une sorte de Nouveau Détective de 1948. « You
want to print gory news », vous voulez des nouvelles sanglantes
lui réplique Grant. Faut dire qu'elle semble avoir un nom
prédestiné, Gorman.
Au
tout du film, le spectateur est dans le même niveau de connaissance
que Ann : rien ou presque. Elle est sous la pluie avec son
pardessus de plastic transparent, elle attend que Grant se rende dans
ce bar nommé The Tavern pour pouvoir écrire son article. Elle tombe
sur le patron du lieu, un type épatant téléphone accroché à
l'oreille (gag récurrent) qui passe son temps à faire des paris
hippiques. Puis, elle engage la conversation avec Art (Jeff Corey),
l'adjoint de Grant.
Lui
non plus ne sait rien. Alors va pour la filature quand un nouveau
crime est commis. Premier point : le meurtrier frappe les soirs
de pluie. Deuxième point : il écrit des lettres qu'il laisse
sur les lieux du crime et les signe The Judge. Notre criminel prétend
rendre justice. Troisième indice : il dépose, sans soute en
toute conscience, un élément personnel, comme une signature, un
indice pour provoquer la police. Quatrième point : il tue ses
victimes en les étranglant.
C'est
avec ça que Grant doit mener son enquête. Mais aussi Ann sur le dos
constamment. Elle a des « relations » (connections
en VO) qui lui permettent de débarquer chez lui, sur le lieu d'un
nouveau crime ou à The Tavern pile au moment où il arrive pour
prendre un verre. Toutes ces rencontres sont autant de moment d'un
humour discret au beau milieu d'un film noir, tout comme ce
strip-tease dans sa chambre avant qu'il n'aille se coucher et demande
à Ann d'éteindre la lumière avant de partir.
Ce
sont toutes ces petites bifurcations, ces chemins déviés hors de la
route parsemée de clichés et des lieux communs et de sa grande
brièveté qui donnent ce ton singulier à Assassin sans visage. Le
dernier exemple est le portrait robot du meurtrier impossible à
faire car personne ne l'a vu. Mais dès qu'il apparaît enfin à
l'écran (le suspense est maintenu jusqu'en bout de film), ce affreux
jojo porte des lunettes cerclés, comme en portera L'Etrangleur de
Rillington Place 22 ans plus tard.
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