Je
poursuis mon voyage dans le cinéma de Richard Fleischer avec un
détour à Londres dans l'endroit le plus sinistre d'Angleterre, 10
Rillington Place. Ce décor est constitué d'un bout de rue, une
impasse en vérité au bout de laquelle un immeuble, devenu gris et
abominable avec le temps, de deux étages sera le centre de crimes
atroces commis par un seul homme. On lui aurait pourtant confié le
bon dieu sans confession à ce John Reginald Christie.
Enfin
presque. Richard Attenborough apparaît derrière son rideau et
Richard Fleischer filme cet étrangleur avec un air suspect dès la
première apparition pour son premier crime qu'il commet une nuit de
1944, la guerre est à peine finie. Une jeune femme débarque dans
l'immeuble, il entrouvre la porte. Il est là, chauve (alors que
l'acteur portait des cheveux), lunettes cerclées, ce qui rend son
visage rond inquiétant immédiatement. Et cette voix trop douce, à
peine audible.
Sa
pratique de l'étranglement s'apparente à un opération
chirurgicale. Un bocal rempli d'un liquide blanc, un tuyau qui sort
de ce bocal, le gaz pour endormir la victime et un corde fine pour
étrangler la femme assoupie. Puis, il s'agit de faire disparaître
le corps. Reg Christie l'enterre dans l'arrière cours. C'est à ce
moment que le spectateur comprend, à cause d'un chien qui creuse et
d'une jambe qui sort de terre, que notre homme n'en est pas à son
premier coup.
Quatre
années passent, la guerre est derrière eux mais la pauvreté règne
en Angleterre. C'est surtout une crise de logement comme partout en
Europe. Depuis cette séquence d'ouverture, Reg s'est marié avec une
femme moins gracieuse (Pat Heywood) que la jeune femme qu'il a
étranglée. Ce qui saute aux yeux est qu'il l'a épousé précisément
à cause de ce physique banal, grossier, presque masculin, comme un
antidote. Depuis Reg n'a pas commis d'autres meurtres.
Quand
Beryl (Judy Beeson) et son mari Tim Evans (John Hurt) viennent pour
occuper l'appartement du deuxième étage, les regard scabreux de Reg
Christie revient comme un éclair frappe un arbre en plein orage. Les
Evans ont une petite fille. A vrai dire, Christie ne semble pas
emballer pour leur louer l'appartement, il est bien décrépi et
Beryl montre peu d'enthousiasme également, mais Tim insiste, le
trouve convenable cet appartement, les voilà installés.
Je
disais plus haut que Richard Attenborough joue son personnage avec
une voix douce, ce qui n'empêche pas un ton autoritaire et
condescendent. Une autorité qu'il exerce sur Beryl. Inversement,
John Hurt joue un personnage électrique, qui raconte des bobards à
ses collègues, toujours sur le qui-vive, il s'emporte facilement,
il subit son impulsivité, cela a une conséquence directe, la
fillette se met à pleurer quand il rentre du travail. Cela ennuie
Christie qui se fait réveiller et monte les sermonner.
Ce
personnage de Reg Christie est une pure invention, l'homme se met en
scène devant les autres pour mieux les manipuler, pour profiter de
leur faiblesse. Il se prend pour le souverain de son immeuble, le 10
Rillington Place est son royaume dont personne ne peut le déloger.
L'homme s'est inventé un passé, il se prétend médecin, il se dit
ancien policier, dans une Angleterre corsetée, cela le place dans
une classe sociale supérieure à celle des Evans, cela lui arroge le
droit de tuer ces êtres inférieurs.
Les
crimes crapuleux qu'il commet dans la deuxième partie, tuer Beryl et
leur fillette, sont encore mis en scène par ses soins. A Tim, il
invente une histoire et va tout faire pour que la police l'accuse de
ces deux crimes. Les regards se déplacent, celui de Madame Christie
se fait plus angoissé, devinant que son mari est l'incarnation du
Mal. Le sentiment d'étouffement, de claustrophobie, s'amplifie
tandis que l'injustice se met en (dé)route et que Tim sort enfin de
cette place pour aller à la campagne.
Dans
un mouvement de balancier, lors du procès, Tim semble avoir perdu sa
voix, ne dit plus rien, d'autant qu'il traîne sa réputation de
menteur alors que Reg Christie s'exprime avec toujours ce ton
complaisant. Il continuer d'inventer une histoire, il ne cesse de
mettre en scène la culpabilité de Tim Evans, de l'accabler de ses
crimes. Le film n'est pas seulement d'une tristesse infinie, il
marque toute la folie d'une logique implacable, d'autant plus atroce
que parait-il cela est inspiré de faits divers.
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