Julien
Duvivier a tourné deux Poil de carotte, le premier est un
film muet où il réalise une adaption fidèle du roman de Jules
Renard tout en prenant soin d'expérimenter. Sa Madame Lepic
(Charlotte Barbier) semble tout droit sortie d'une film
expressionniste allemand. Elle semble porter un masque, sa posture
est figée dans un mépris pour son fils et son apparence est
repoussante, les sourcils qui se rejoignent et une moustache
importante au dessus des lèvres. Il est évident que le modèle de
cette femme est le Nosferatu de Murnau.
Dans
sa robe noire qui l'enveloppe, Madame Lepic est une sinistre
personne. Quand elle esquisse un sourire, on dirait qu'elle va
engloutir le monde, elle tient ses mains jointes sur son estomac,
pile à hauteur d'enfant, prête à étrangler son fils le petit
François (André Heuzé) qu'elle juge « bête, menteur et
laid », rien que ça. A ses amies du village venues prendre le
thé et cancaner à qui mieux-mieux qui s'étonnent de ne voir que
des photos de Félix (Fabien Haziza), l'aîné des Lepic, elle donne
cette explication simple.
La
petite famille Lepic est ainsi décrite. Le père, Monsieur Lepic
(Henry Krauss) est annoncé comme « indifférent et égoïste »
au sort de ses trois enfants, Félix, Ernestine la cadette (Renée
Jean) et François surnommé Poil de carotte, le visage couvert de
taches de rousseur, seule indication de son aspect physique. En noir
et blanc on ne voit pas ses cheveux roux. Mais sa tignasse part dans
tous les sens comme le gamin qui saut te un cabri quand son père lui
demande de l'accompagner à la chasse.
L'injustice
que subit Poil de carotte est apparente pour tous sauf pour ce père
qui se cantonne à bougonner derrière sa barbe, à fumer sa pipe et
à partir laisser cette mère enserrer l'enfant. Au lieu de la
chasse, il ira à la ferme chercher de la crème, au lieu de rester à
table, il ira fermer l'enclos des poules. Julien Duvivier expérimente
les transparences d'image pour figurer la peur du noir, des visages
déformés, de corps anamorphosés qui déchirent l'imaginaire du
garçon dans un jeu de regard angoissant.
Le
film est constitué d'une série de saynètes sur les brimades
subies. De l'humiliation la plus crasse, Poil de carotte ne trouve
pas son pot et doit chier dans la cheminée, aux corvées sous les
quolibets récurrentes de sa fratrie, Félix et Ernestine
apparaissent tels des fantômes, le cinéaste déploie les
surimpressions et les transparences, François est multiplié dans le
cadre pour bien marquer l'ampleur des tâches assignées par sa mère
au gamin. La seule à soutenir l'enfant, à le consoler et à lui
trouver des divertissements est la petite bonne Annette (Lydia
Zaréna).
Elle
est l'incarnation du Bien, elle observe le comportement maléfique de
Madame Lepic, elle n'ose pas protester mais elle va cherche à
modifier « l'indifférence et l'égoïsme » de Monsieur
Lepic. Ça prendra du temps puisque son fils veut en finir avec la
vie, loin de sa maison où il est rejeté (la scène a été filmée
à Saint-Jean en Royans), il pense à la seule solution : « la
grange, une poutre, une corde». Julien Duvivier joue sur un suspense
insoutenable, accélérant le rythme de son récit dans le dernier
quart d'heure.
Une
autre femme va débarquer, c'est Maria (Suzanne Talba) annoncée dans
les intertitres comme chanteuse réaliste. Elle est une mangeuse
d'homme et a mis le grappin sur Félix. Le pauvre naïf ne se doute
de rien. Elle va le forcer à voler l'argent de Monsieur Lepic. Le
vol est mis en scène avec une grande modernité, Julien Duvivier
invente un split screen avec des effets de miroirs, tout est dans la
suggestion tandis que le cadre se divise en deux ouvrant
successivement les points de vue divergents. Voilà un beau film
inventif, la suite bientôt avec le Poil de carotte parlant de
1932.
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