« Sorry
to bother you », c'est la phrase que débite Cassius Green
(Lakeith Stanfield) à chaque client potentiel qu'il a au bout du
fil. A peine la phrase terminée, il se fait raccrocher au nez.
Cassius surnommé Cash par ses amis et sa petite copine Detroit
(Tessa Thompson), un prénom typiquement américain dit-elle,
elle-même surnommée Troit par Cash, vit dans le garage de son oncle
Sergio (Terry Crews, génial comme dans chaque épisode de la série
Brooklyn Nine Nine) parce qu'il n'a pas un dollar en poche. C'est
pourquoi il a postulé à ce boulot de télémarketing.
Il
a baratiné son employeur, montré un trophée d'éloquence, indiqué
qu'il avait été l'employé du mois dans une banque. Mais le
recruteur rétorque, après avoir confondu Cassius pour son baratin
et ses pieux mensonges, qu'il embauche n'importe quel con pour faire
ce boulot de merde. Et voilà le matin notre héros sortir de son
garage appartement, prendre sa voiture déglinguée et grimper les
escaliers de RegalView, car l'ascenseur est réservé aux Power
Caller, les super vendeurs de saloperies que l'entreprise refile.
Cash
a beau avoir du bagout, il est mauvais vendeur, tout comme ses potes
Squeeze (Steven Yeun) et Sal (Jermaine Fowler). Ces deux derniers,
surtout Squeeze, revendiquent des droits, veulent faire grève. Cash
veut bien se joindre au mouvement mais il est rétif à l'action.
Tout simplement parce qu'il a enfin trouvé la solution pour
enchaîner les clients. Sur les conseils de son collègue (Danny
Glover), il se met à parler avec une voix de Blanc. Effet garanti.
Là on n'est pas dans Blackkklansman, c'est un doubleur qui
fait la voix de Cassius.
Quentin
Tarantino n'est pas le seul à inventer des marques dans ses films
(quand il ne filme pas la Chartreuse, cela s'entend), Boots Riley
dans son premier le fait aussi. Ainsi c'est au milieu des rues
d'Auckland que se crée tout un univers qui apparaît vite parallèle
au nôtre pour que Sorry to bother you commence à exister. A
côté de RegalView, d'une marque de soda, d'une émission de télé
débile, c'est la multinationale WorryFree qui intrigue tous les
personnages. Les spots télé, les panneaux publicitaires abondent
promettant une vie meilleure grâce à WorryFree.
Puisqu'on
est dans un monde parallèle mais qui ressemble beaucoup aux
Etats-Unis ultra libéraux, autant aller à fond dans le délire
narratif, sonore et visuel pour élaborer une critique volontairement
sarcastique. Cassius n'est pas le seul quand il rentre enfin à
WorryFree a avoir une voix de Blanc, son nouveau collègue (Omari
Hardwaick) aux rouflaquettes finement dessinées et portant un
bandeau noir à l’œil gauche. Mais surtout, chaque fois que son
nom est prononcé, un bip de censure se fait entendre, ce qui produit
un effet irrésistiblement comique.
L’œil
gauche de Detroit est barré d'un trait noir, symbole de ralliement
des anti WorryFree qui transforment les panneaux publicitaires et en
détournent le sens. Detroit, sans que Cassius ne le sache, est une
activiste. Il aurait pu le deviner s'il avait mieux lu les messages
que sa petite amie arbore sur les boucles d'oreille géantes. Detroit
est artiste et ses boucles d'oreille sont aussi étonnantes que
l'exposition qu'elle prépare pendant que Cassius passe de plus en
plus de temps avec son nouveau patron, l'extravagant Steve Lift
(Armie Hammer).
Pendant
la séquence de la fête délirante et orgiaque organisée par Lift,
j'ai pensé à celle de Under the silver lake, les deux films situés
tous deux en Californie sont proches. Les deux cinéastes me font
attendre leur prochain film. Mais pendant toute la première heure de
Sorry to bother you, j'ai pensé à Michel Gondry, jusqu'à me
demander s'il n'avait pas tourné le film lui-même en mode Emile
Ajar. Le film répond lui-même avec une parodie du style de Gondry
dans une séquence animée qui amène le récit vers l'une des choses
les plus réjouissantes vue depuis pas mal de temps.
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