Troisième
et dernier film tourné pour la Show Brothers par King Hu,
L’Hirondelle
d’or ne reprend pas
son titre anglais (viens boire avec moi) ni son titre chinois (le
chevalier errant ivre). La « suite » tournée par Chang
Cheh en 1968 s’appellera Golden
swallow (en chinois
aussi) et sortira en France sous le titre Le
Retour de l’Hirondelle d’or.
Tout cela pour dire que le personnage de Cheng Pei-pei, celui de
l’héroïne, est à égalité avec celui de Yueh Hua qui interprète
Chat Ivre, Fan Ta-pei, le mendiant amateur de vin. Les deux
personnages sont en totale opposition, elle est d’un calme
hiératique. Elle refuse d’entendre le moindre conseil et s’en va
poursuivre sa mission, délivrer son frère pris en otage. Elle est
présentée d’abord comme un homme, dès son arrivée dans
l’auberge. Elle porte l’habit traditionnel, aux couleurs ternes,
qui indique sa volonté de se faire passer pour un homme. Il sera
épargné au spectateur une romance entre Chat Ivre et Hirondelle
d’Or, leur rapport se limitera à combattre les méchants.
Ce
qui frappe en tout premier lieu dans L’Hirondelle
d’or, c’est
l’absence de clinquant dans les décors. Dans The
Story of Sue San, King
Hu avait dû composer avec un décor kitsch propre aux films de la
Shaw Brothers et à l’opéra chinois. Ici, la sobriété est mise
en avant. L’auberge dans laquelle débute le film (après
l’enlèvement du fils du gouverneur en pleine nature) est modeste,
provinciale. On n’en verra que l’intérieur, vaste et meuble de
manière fonctionnelle. Des tables en bois, des bancs, des balcons.
Le marron est la couleur prédominante. Les clients se confondent
avec les meubles d’ailleurs. La lumière est elle aussi
volontairement terne donnant un aspect plus réaliste que d’habitude.
C’est en cela que King Hu modifie le wu
xia pian (je ne parlerai pas
de révolution) et le fait passer dans la modernité. Deux autres
décors servent à l’action. Le temple dans lequel se sont réfugiés
les kidnappeurs du fils du gouverneur. Temple classique pourvu d’une
grande entrée et d’une vaste cour. Le contraste avec l’auberge
se produit quand on découvre les brigands entassés, tels des
animaux, autour d’une table pour manger ou se réunir. La caméra
est fixe, éloignée des personnages, les jugeant. Les brigands ont
également pris en otage les moines qu’ils obligent à suivre leurs
ordres cruels et violents (un moinillon se fait exécuter sans
vergogne par l’un d’eux).
Le
dernier décor, encore plus sombre, est celui de Chat Ivre. Abrité
dans une cabane brinquebalante, au bord d’une cascade en pleine
forêt, le mendiant cache bien son jeu. On le découvre dans
l’auberge, accompagné d’enfants qui forment sa tribu de
mendiants. Il chante des chansons pour récolter quelques sous. Comme
son nom l’indique, c’est un amateur de vin. C’est surtout un
artiste martial et un homme de raison. Hirondelle d’Or est une
femme de tête qui ne veut entendre aucun conseil, mais elle aura
bien besoin de l’aide de Chat Ivre quand elle sera empoisonnée par
une flèche. Il est temps de présenter le super méchant du film.
Tigre au visage de Jade (Chen Hung-lieh) est le commanditaire de
l’enlèvement. Il est habillé en blanc (la couleur de la mort), le
visage peint. Son sourire sardoniques, ses yeux torves et ses tours
pendables expriment une cruauté inégalée. Un méchant somme toute
trop classique. La deuxième moitié du film est bien moins
intéressante que la première. Chat Ivre affrontera son ennemi
mortel, l’abbé Liao Kung (Yeung Chi-hing), personnage sorti un peu
de n’importe où, provoquant une tournure scénaristique aussi
abrupte que convenue. Les scènes de combat entre l’abbé et Chat
Ivre sont d’une grande platitude.
L’attrait
majeur de L’Hirondelle
d’or est sa deuxième
séquence, au bout de dix minutes de film, quand Hirondelle d’or
entre en scène. Elle se déroule dans l’auberge. Un orage annonce
l’action qui va se dérouler, vive et soudaine. La caméra dans un
travelling de gauche à droite la suit de la porte à la table où
elle s’installe, elle marche lentement, observant tous les autres
clients. Tous les personnages s’observent, la bande de Tigre au
visage de Jade l’a repérée. Un plan d’ensemble en plongée
permet de comprendre où se trouve chaque personnage, ce que le
découpage en champ – contrechamp ne faisait pas. Le bras droit de
la bande (Lee Wang-chun) aborde Hirondelle d’or, dans un grand
sourire, il lui demande qui elle est, ce qu’elle fait là. La
musique de percussions démarre. L’affrontement commence avec un
jeu de regards et se poursuit, tandis qu’elle dîne tranquillement,
avec des objets qu’on lance à Hirondelle d’or (une jarre de vin,
des pièces) qu’elle débine d’un geste habile de la main sans
bouger le reste de son corps. Elle est seule, ils sont une douzaine.
L’affrontement aux sabres se fait sur le son des percussions.
Chaque geste est redoublé par un tambour. Quand elle se fait
assaillir par les sabreurs, un plan large montre les brigands
s’approcher d’elle, un plan serré la montre remuant son épée
puis un troisième plan large, avec une musique frénétique, filme
les brigands s’effondrer. Toute la mise en scène de King Hu est
dans ces trois plans, un montage faussement champ-contrechamp qui
rythme le combat. Cette séquence qui dure dix minutes est la vraie
révolution du wu xia pian
mais elle n’était sans doute pas du goût de la Shaw Brothers qui
ont fait comprendre à King Hu qu’il ne ferait plus de films dans
la compagnie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire