jeudi 30 mars 2017

L'Hirondelle d'or (King Hu, 1966)

Troisième et dernier film tourné pour la Show Brothers par King Hu, L’Hirondelle d’or ne reprend pas son titre anglais (viens boire avec moi) ni son titre chinois (le chevalier errant ivre). La « suite » tournée par Chang Cheh en 1968 s’appellera Golden swallow (en chinois aussi) et sortira en France sous le titre Le Retour de l’Hirondelle d’or. Tout cela pour dire que le personnage de Cheng Pei-pei, celui de l’héroïne, est à égalité avec celui de Yueh Hua qui interprète Chat Ivre, Fan Ta-pei, le mendiant amateur de vin. Les deux personnages sont en totale opposition, elle est d’un calme hiératique. Elle refuse d’entendre le moindre conseil et s’en va poursuivre sa mission, délivrer son frère pris en otage. Elle est présentée d’abord comme un homme, dès son arrivée dans l’auberge. Elle porte l’habit traditionnel, aux couleurs ternes, qui indique sa volonté de se faire passer pour un homme. Il sera épargné au spectateur une romance entre Chat Ivre et Hirondelle d’Or, leur rapport se limitera à combattre les méchants.

Ce qui frappe en tout premier lieu dans L’Hirondelle d’or, c’est l’absence de clinquant dans les décors. Dans The Story of Sue San, King Hu avait dû composer avec un décor kitsch propre aux films de la Shaw Brothers et à l’opéra chinois. Ici, la sobriété est mise en avant. L’auberge dans laquelle débute le film (après l’enlèvement du fils du gouverneur en pleine nature) est modeste, provinciale. On n’en verra que l’intérieur, vaste et meuble de manière fonctionnelle. Des tables en bois, des bancs, des balcons. Le marron est la couleur prédominante. Les clients se confondent avec les meubles d’ailleurs. La lumière est elle aussi volontairement terne donnant un aspect plus réaliste que d’habitude. C’est en cela que King Hu modifie le wu xia pian (je ne parlerai pas de révolution) et le fait passer dans la modernité. Deux autres décors servent à l’action. Le temple dans lequel se sont réfugiés les kidnappeurs du fils du gouverneur. Temple classique pourvu d’une grande entrée et d’une vaste cour. Le contraste avec l’auberge se produit quand on découvre les brigands entassés, tels des animaux, autour d’une table pour manger ou se réunir. La caméra est fixe, éloignée des personnages, les jugeant. Les brigands ont également pris en otage les moines qu’ils obligent à suivre leurs ordres cruels et violents (un moinillon se fait exécuter sans vergogne par l’un d’eux).

Le dernier décor, encore plus sombre, est celui de Chat Ivre. Abrité dans une cabane brinquebalante, au bord d’une cascade en pleine forêt, le mendiant cache bien son jeu. On le découvre dans l’auberge, accompagné d’enfants qui forment sa tribu de mendiants. Il chante des chansons pour récolter quelques sous. Comme son nom l’indique, c’est un amateur de vin. C’est surtout un artiste martial et un homme de raison. Hirondelle d’Or est une femme de tête qui ne veut entendre aucun conseil, mais elle aura bien besoin de l’aide de Chat Ivre quand elle sera empoisonnée par une flèche. Il est temps de présenter le super méchant du film. Tigre au visage de Jade (Chen Hung-lieh) est le commanditaire de l’enlèvement. Il est habillé en blanc (la couleur de la mort), le visage peint. Son sourire sardoniques, ses yeux torves et ses tours pendables expriment une cruauté inégalée. Un méchant somme toute trop classique. La deuxième moitié du film est bien moins intéressante que la première. Chat Ivre affrontera son ennemi mortel, l’abbé Liao Kung (Yeung Chi-hing), personnage sorti un peu de n’importe où, provoquant une tournure scénaristique aussi abrupte que convenue. Les scènes de combat entre l’abbé et Chat Ivre sont d’une grande platitude.

L’attrait majeur de L’Hirondelle d’or est sa deuxième séquence, au bout de dix minutes de film, quand Hirondelle d’or entre en scène. Elle se déroule dans l’auberge. Un orage annonce l’action qui va se dérouler, vive et soudaine. La caméra dans un travelling de gauche à droite la suit de la porte à la table où elle s’installe, elle marche lentement, observant tous les autres clients. Tous les personnages s’observent, la bande de Tigre au visage de Jade l’a repérée. Un plan d’ensemble en plongée permet de comprendre où se trouve chaque personnage, ce que le découpage en champ – contrechamp ne faisait pas. Le bras droit de la bande (Lee Wang-chun) aborde Hirondelle d’or, dans un grand sourire, il lui demande qui elle est, ce qu’elle fait là. La musique de percussions démarre. L’affrontement commence avec un jeu de regards et se poursuit, tandis qu’elle dîne tranquillement, avec des objets qu’on lance à Hirondelle d’or (une jarre de vin, des pièces) qu’elle débine d’un geste habile de la main sans bouger le reste de son corps. Elle est seule, ils sont une douzaine. L’affrontement aux sabres se fait sur le son des percussions. Chaque geste est redoublé par un tambour. Quand elle se fait assaillir par les sabreurs, un plan large montre les brigands s’approcher d’elle, un plan serré la montre remuant son épée puis un troisième plan large, avec une musique frénétique, filme les brigands s’effondrer. Toute la mise en scène de King Hu est dans ces trois plans, un montage faussement champ-contrechamp qui rythme le combat. Cette séquence qui dure dix minutes est la vraie révolution du wu xia pian mais elle n’était sans doute pas du goût de la Shaw Brothers qui ont fait comprendre à King Hu qu’il ne ferait plus de films dans la compagnie.















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