Ce
sont de lents travellings latéraux qui invitent à découvrir une
petite ville du Pas-de-Calais au petit matin. Une rue déserte avec
ces habituelles maisons de briques rouges, des immeubles HLM, une
bretelle d'autoroute encercle la commune, des champs qu'un
agriculteur laboure. Bienvenue à Hénard le décor de Chez nous.
On sait tous de quoi parle le dernier film de Lucas Belvaux mais le
cinéaste rappelle que derrière le sujet existe la forme
cinématographique et que le travelling est affaire de morale.
De
la bonne morale, Pauline (Emilie Dequenne) en regorge, elle est
infirmière et fait partie de ces gens que le parti d'extrême droite
appelle « la France qui se lève tôt ». Comme
l'agriculteur qui déterre des obus dans son champ, Pauline part
travailler le soleil à peine levé. Avec sa voiture (française),
elle parcourt la commune que Lucas Belvaux vient de nous présenter,
elle connaît tout le monde et tout le monde la connaît, les vieux,
les jeunes, le cinéaste varie les patients, la fait circuler dans
tous les milieux, enfin, ce sont surtout des déclassés.
C'est
une idée formidable de commencer par cerner le terreau électoral,
d'en étudier la topographie, c'est la circulation entre les décors
principaux. D'abord l'appartement du père de Pauline incarné par
l'acteur régulier du cinéaste (Patrick Descamps), communiste, en
mauvaise santé (régime sans sel), sans travail (retraite ou
chômage ?). Le père regarde souvent la télévision avec les
enfants de Pauline, précisément, la télé est toujours ouverte
avec son flux continu de news sans analyse, c'est une écoute passive
que décrit le film.
Pauline
passe d'un lieu à un autre, de chez son père aux HLM où elle
soigne notamment la mère de Jamila et écoute ses soucis
matrimoniaux, à un repas dans une villa de lotissement avec tous ses
amis où les langues se délient (ce célèbre « dire tout
haut »), les différentes opinions des protagonistes commencent
à fractionner le récit puis la maison cossue du bon docteur
Berthier (André Dussolier). Il connaît Pauline depuis toujours, il
a soigné ses parents (la mère est décédée d'un cancer). Il
invite Pauline à dîner et lui propose de représenter le parti aux
municipales.
A
la figure souriante et respectable du notable qui va embrigader
Pauline (hilarante mais glaciale scène de coaching avec les
apparatchiks du parti d'extrême droite qui transforme l'infirmière
en clone de la cheffe que joue Catherine Jacob), Lucas Belvaux oppose
Stéphane « Stanko » (Guillaume Gouix). C'était le
premier petit copain de Pauline quand ils avaient 16 ans, ils se
retrouvent lors d'un match de foot du fils de cette dernière.
Stéphane est l'entraîneur de l'équipe adverse le jour et pratique
des ratonnades la nuit.
Il
fallait toute la douceur de Guillaume Gouix pour faire passer ce
personnage de nazillon, un gars d'origine polonaise, comme son nom de
famille l'indique, qui lors du premier rendez-vous galant avec
Pauline l'invite à manger un couscous. Stéphane représente le
passé de ce parti d'extrême droite et paradoxalement Berthier, son
ancien mentor, son père de substitution en est l'avenir édulcoré
mais aussi extrémiste. Comme elle est mise de côté par les
apparatchiks, Pauline ignore tout de la guerre larvée et violente
entre le docteur et son petit ami.
Jamais
à court de contradictions révélatrices de la confusion morale que
vivent les personnages, et c'est cela qui fait la force du film,
Lucas Belvaux abreuve son récit de détails qui composent le puzzle
du délitement politique. Certes, certaines maladresses sont autant
d'écueils (certains dialogues tombent comme un cheveu sur la soupe)
parce qu'il veut trop en dire, mais comparé à ses derniers films
(l'édifiant 38 témoins et le raté Pas son genre),
Chez nous trouve le ton juste
pour démonter le lavage de cerveau et le logiciel de l'extrême
droite.
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