En
1963, le nutty professor de Jerry Lewis s'appelait Professeur Kelp,
aujourd'hui il serait nommé professeur Nerd. Kelp sonne comme une
onomatopée, un peu de snap, de clap, mais aussi comme
un grand help !, un homme qui appelle à l'aide, un
enseignant d'université mal fagoté, portant des lunettes demi-lune,
aux dents de lapin, aux cheveux ébouriffés. Et son prénom est
Julius, tout à la fois le vrai patronyme de Groucho Marx (le seul
qui portait des lunettes) et un prénom qui fleure bon le terroir
américain, la classe laborieuse où le petit serait devenu un homme
important.
Cette
importance est à géométrie très variable. Ses rapports avec les
étudiants ne sont guère faciles. L'un d'eux, évidemment un sportif
dans cette habituelle bataille entre les nerds et les jocks,
refuse de rester en cours pour aller s'entraîner et encastre Kelp
dans un placard. Avec sa hiérarchie, la relation n'est pas au beau
fixe. Au début de Docteur Jerry et Mister Love, Kelp provoque
une explosion pendant son cours de chimie, après le passage des
pompiers, son extraction sous une porte, il est convoqué chez le
directeur.
Ce
sont d'abord des gags visuels et sonores que Jerry Lewis déploie
dans son film et, pour une fois, tous ont leur importance pour le
récit. Ses précédents films n'étaient qu'une suite de gags sans
scénario fort. La visite au directeur est celle du gag du fauteuil
où Kelp s'enfonce jusqu'au fond, celle de la pantomime quand il se
fait gronder comme un enfant, celle où l'on découvre que lorsqu'il
ouvre sa montre gousset, une musique bruyante se fait entendre. Et
pendant ce temps, le directeur (Del Moore) est pris de tics
irrépressibles.
Une
seule élève porte attention à son professeur. Stella Purdy (Stella
Stevens) est une blonde aux cheveux courts dont les couettes sont
tenues par deux rubans. Kelp est d'une timidité maladive, il
trébuche en montant sur l'estrade, il se trompe dans ses mots. Mais
c'est sa voix qui ajoute à la panoplie de l'homme peu sûr de lui et
incapable de conquérir la jeune étudiante. Il a une voix stridente,
nasillarde, cela confrère au personnage de Jerry Lewis un ridicule,
une position puérile de l'homme qui n'aurait jamais vraiment grandi.
J'aime
beaucoup le titre français qui scrute immédiatement le concept de
Dr Jekyll et Mr Hyde. Ainsi, si Kelp est Jekyll, son alter ego
maléfique devrait être encore plus laid, encore plus maladroit,
encore plus coincé. Jerry Lewis, une fois que le professeur Kelp a
bu son breuvage et que la transformation est entamée, filme un
visage trituré, des dents déformés, des poils sur les mains, puis,
en caméra subjective lance son double monstrueux dans la rue où les
regards caméras des badauds sont déroutés.
Le
patronyme du Hyde du professeur Kelp vient du hasard. Prénom :
Buddy, se présente-t-il à Stella Burdy, nom de famille : Love.
« Le pote de l'amour ». En guise de monstre, c'est Jerry
Lewis plein de sex appeal qui apparaît à l'écran. Cheveux gominés,
regard perçant, et surtout l'acteur retrouve sa vraie voix grave,
non pas celle que les spectateurs ont pu entendre dans ses films
précédents qui était toujours déformée, mais celle de Jerry
Lewis lui-même, dans ses films suivants, il adoptera désormais
cette voix d'une grande clarté et à la diction parfaite.
Buddy
Love est aussi beau que Julius Kelp était vilain, mais leur
caractère sont inversés. A la gentillesse du professeur cède
l'arrogance du séducteur. Il a un beau visage, il est bien habillé,
mais il traite tout le monde comme des moins que rien (et certaines
mauvaises langues disent Jerry Lewis se comportait ainsi sur les
plateaux). Cependant, il parvient à séduire Stella avec un jeu de
dialogues qui coupent court au flirt bon enfant. Buddy Love triomphe
jusqu'à la fin des effets de son potion magique où la voix de Kelp
reprend les commandes.
Le
génie du film repose sur la palette chromatique de la photographie.
Du générique d'ouverture avec ses fioles remplis de liquides aux
couleurs vives à la visite du club fréquenté par les étudiants,
le bien nommé Purple Pit, en passant par les costumes pastel de
Buddy Love. Le morceau de bravoure du film est la séquence de
transformation, déluge de couleurs éparpillées sur le sol,
variation des teintes du visage de Kelp, filmée dans une pénombre
crépusculaire et une musique angoissante. Dans le finale, le costume
de Jerry Lewis se confond avec le rideau pour appuyer le retour à la
normalité. C'est fou comme c'est beau !
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