« Tout
avait commencé un jour ordinaire », explique Michi (Kumiko
Asô), en guise de lancement du récit de Kaïro,
alors qu’elle se trouve seule avec un homme plus âgé qu’elle
(Kôji Yakusho, l’acteur fétiche
de Kiyoshi Kurosawa qui ne fait qu’une très courte apparition) sur
un bateau en pleine mer. Ce jour-là, son collègue Taguchi se fait
attendre au travail alors qu’elle cherche une disquette qu’il
devait préparer. Personne n’a eu de ses nouvelles depuis
longtemps. Elle décide donc d’aller chez lui, un appartement mal
entretenu. Elle le découvre, mal habillé, l’air hébété dans un
coin d’une pièce. Il ramasse une corde pour ranger son studio,
elle va fouiller à côté de l’ordinateur pour trouver cette
disquette. Une minute plus tard, elle le retrouve pendu dans la
chambre sans comprendre ce qui a bien pu se passer. La police qui
vient la chercher n’a pas non plus d’explication.
Junko
(Kurume Arisaka), la collègue de Michi l’interroge sur ce suicide.
Elle s’inquiète surtout pour Michi, et il faut le dire, qu’elle
a sacrément peur. Mais cette peur est mêlée de curiosité. Yabé
(Masatoshi Matsuo), l’un des collaborateurs de leur boite, ouvre la
disquette et il découvre une image énigmatique : on y voit
Taguchi devant son ordinateur et sur l’écran de l’ordinateur,
cette image démultipliée. Sur un autre écran, il remarque ce qui
semble être un visage livide. Yabé retourne dans le logement de
Taguchi, fouille un peu, tombe sur une feuille sur laquelle est
inscrite « zone interdite », puis aperçoit une tache
sombre sur le mur, comme de la fumée, précisément là où le jeune
homme s’est donné la mort. Enfin, il voit son collègue, ou
pense-t-il le voir. Au bout de quelques jours, le résultat est le
même, Yabé se tire une balle dans la tête.
Autre
lieu, autres personnages. Kawashima (Haruhiko Katô) est un jeune
étudiant aux cheveux colorés qu’on imagine un peu superficiel. Un
soit de désœuvrement, il entreprend d’installer internet sur son
ordinateur. Il n’y connaît pas grand-chose (il faut se rappeler
que le film date de 2001, époque où le web n’était pas encore si
présent) mais l’ordi se connecte immédiatement sur des vidéos de
personnes seules chez elles, le visage trouble. Il va demande à
Harué (Koyuki), la fortiche en informatique des conseils. Ils ne
vont plus se quitter pour tenter d’expliquer cette vague de
disparition des humains et d’apparition de fantômes. Un étudiant
leur affirmera que les âmes sont désormais trop nombreuses et
qu’elles s’installent à la place des vivants. Et surtout, il
conseille de se méfier des lieux entourés de ruban adhésif rouge.
Quand
Kaïro
est sorti, le cinéma japonais était en pleine mode de Ring
et autres films de fantômes chevelus qui se retournait soudain pour
faire peur au spectateur. Les fantômes de Kaïro
n’existent qu’à l’état de trace sur les murs ou comme entité
désarticulée qui prend possession du corps des humains, comme dans
la belle scène d’angoisse pure où Yabe rencontre une femme qui se
dirige vers lui au ralenti. La méthode de Kiyoshi Kurosawa pour
instiller la peur repose sur des effets strictement dramatiques
(musique stridente à base d’instruments à corde, voix déformées)
sans pour autant chercher à faire sursauter le spectateur. Les
pièces cerclées de ruban rouge deviennent des lieux où la mort
règne. Les vidéos grisâtres, floues et statiques de fantômes
envahissent l’écran.
Le
décor dans lequel évoluent les personnages revêt une grande
importance dans la montée de l’effroi. Au fur et à mesure que le
film avance, la population disparaît, les rues se vident, plus
personne ne répond au téléphone, l’université de Kawashima n’a
plus d’étudiants et Michi perd tous ses collègues. Le récit se
déplace dans une zone industrielle froide et déshumanisée où la
solitude est le seul moyen de survie. La photographie du film adopte
une teinte de plus en plus grise, adoptant pratiquement des tons
sépia où la couleur rouge est désormais symbole de danger. Kaïro
ne fait pas vraiment peur mais instaure un malaise profond, un
désespoir sur l’état du monde qui est la marque de fabrique de
Kiyoshi Kurosawa.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire