jeudi 2 mars 2017

Kaïro (Kiyoshi Kurosawa, 2001)

« Tout avait commencé un jour ordinaire », explique Michi (Kumiko Asô), en guise de lancement du récit de Kaïro, alors qu’elle se trouve seule avec un homme plus âgé qu’elle (Kôji Yakusho, l’acteur fétiche de Kiyoshi Kurosawa qui ne fait qu’une très courte apparition) sur un bateau en pleine mer. Ce jour-là, son collègue Taguchi se fait attendre au travail alors qu’elle cherche une disquette qu’il devait préparer. Personne n’a eu de ses nouvelles depuis longtemps. Elle décide donc d’aller chez lui, un appartement mal entretenu. Elle le découvre, mal habillé, l’air hébété dans un coin d’une pièce. Il ramasse une corde pour ranger son studio, elle va fouiller à côté de l’ordinateur pour trouver cette disquette. Une minute plus tard, elle le retrouve pendu dans la chambre sans comprendre ce qui a bien pu se passer. La police qui vient la chercher n’a pas non plus d’explication.

Junko (Kurume Arisaka), la collègue de Michi l’interroge sur ce suicide. Elle s’inquiète surtout pour Michi, et il faut le dire, qu’elle a sacrément peur. Mais cette peur est mêlée de curiosité. Yabé (Masatoshi Matsuo), l’un des collaborateurs de leur boite, ouvre la disquette et il découvre une image énigmatique : on y voit Taguchi devant son ordinateur et sur l’écran de l’ordinateur, cette image démultipliée. Sur un autre écran, il remarque ce qui semble être un visage livide. Yabé retourne dans le logement de Taguchi, fouille un peu, tombe sur une feuille sur laquelle est inscrite « zone interdite », puis aperçoit une tache sombre sur le mur, comme de la fumée, précisément là où le jeune homme s’est donné la mort. Enfin, il voit son collègue, ou pense-t-il le voir. Au bout de quelques jours, le résultat est le même, Yabé se tire une balle dans la tête.

Autre lieu, autres personnages. Kawashima (Haruhiko Katô) est un jeune étudiant aux cheveux colorés qu’on imagine un peu superficiel. Un soit de désœuvrement, il entreprend d’installer internet sur son ordinateur. Il n’y connaît pas grand-chose (il faut se rappeler que le film date de 2001, époque où le web n’était pas encore si présent) mais l’ordi se connecte immédiatement sur des vidéos de personnes seules chez elles, le visage trouble. Il va demande à Harué (Koyuki), la fortiche en informatique des conseils. Ils ne vont plus se quitter pour tenter d’expliquer cette vague de disparition des humains et d’apparition de fantômes. Un étudiant leur affirmera que les âmes sont désormais trop nombreuses et qu’elles s’installent à la place des vivants. Et surtout, il conseille de se méfier des lieux entourés de ruban adhésif rouge.

Quand Kaïro est sorti, le cinéma japonais était en pleine mode de Ring et autres films de fantômes chevelus qui se retournait soudain pour faire peur au spectateur. Les fantômes de Kaïro n’existent qu’à l’état de trace sur les murs ou comme entité désarticulée qui prend possession du corps des humains, comme dans la belle scène d’angoisse pure où Yabe rencontre une femme qui se dirige vers lui au ralenti. La méthode de Kiyoshi Kurosawa pour instiller la peur repose sur des effets strictement dramatiques (musique stridente à base d’instruments à corde, voix déformées) sans pour autant chercher à faire sursauter le spectateur. Les pièces cerclées de ruban rouge deviennent des lieux où la mort règne. Les vidéos grisâtres, floues et statiques de fantômes envahissent l’écran.

Le décor dans lequel évoluent les personnages revêt une grande importance dans la montée de l’effroi. Au fur et à mesure que le film avance, la population disparaît, les rues se vident, plus personne ne répond au téléphone, l’université de Kawashima n’a plus d’étudiants et Michi perd tous ses collègues. Le récit se déplace dans une zone industrielle froide et déshumanisée où la solitude est le seul moyen de survie. La photographie du film adopte une teinte de plus en plus grise, adoptant pratiquement des tons sépia où la couleur rouge est désormais symbole de danger. Kaïro ne fait pas vraiment peur mais instaure un malaise profond, un désespoir sur l’état du monde qui est la marque de fabrique de Kiyoshi Kurosawa.
























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