vendredi 19 juin 2020

Tchao Pantin (Claude Berri, 1983)

Faire un Tchao Pantin. Je ne connais aucun autre film dont le titre soit devenu une expression du jargon des professionnels de la profession. Un acteur comique qui se voit récompensé pour son premier rôle dramatique. C'est ce qui est arrivé à Coluche avec son César du meilleur acteur en 1984. Depuis, tous les comiques tentent leur Tchao Pantin, ça marche parfois (Gérard Jugnot dans Tandem, Michel Blanc dans Tenue de soirée et Monsieur Hire) ça échoue la plupart du temps. Je ne vais pas en faire la longue liste.

Pour ne pas montrer tout de suite le visage de Coluche, Claude Berri commence par l'arrivée de Richard Anconino vers la station Total. Il joue Bensoussan, un gars dont la mobylette est en panne. Il tente, vainement, de la faire redémarrer sous une pluie battante. Derrière lui, on distingue les gyrophares d'une voiture de police qui le suit lentement. La station d'essence est son refuge. Lambert, le personnage de Coluche, est d'abord filmé de dos. Il observe la scène. Puis il se retourne quand Bensoussan entre dans la boutique.

Cheveux plaqués en arrière, légère tonsure sur le dessus du crâne, une fine moustache bien noire, des rouflaquettes aux bords bien rasés. Coluche n'est pas méconnaissable mais il est transformé. Mais surtout, il a abandonné tous ses tics comiques que Claude Berri avait largement exploité dans Le Maître d'école et dans Inspecteur La Bavure de Claude Zidi qu'il avait produit. Il a le visage fermé. Il le gardera tout le film. Seule sa voix demeure mais il adopte un ton monotone. Il se déplace à pas mesurés.

La première moitié de Tchao Pantin est découpée en larges séquences qui se terminent toute par un fondu au noir. Sept séquences qui sont autant de journées où Lambert et Bensoussan se découvrent. En début, on ne sait évidemment rien de leur vie. Ils ne se connaissent pas, on ne les connaît pas. Les séquences sont courtes, essentiellement nocturnes puisque les deux hommes travaillent de nuit. Lambert est don pompiste et Bensoussan vole des mobylettes ou des motos et va vendre de la drogue à des camés.

Bensoussan habite dans un studio en mansarde dans un immeuble délabré. Les escaliers tiennent à peine. Il cache ses petites doses de cocaïne ou d'héroïne, puis ses billets gagnés, dans sa collection de Que sais-je. Toute une étagère adossée à un mur est remplie des bouquins. Lambert, au petit matin, rentre chez lui. Un grand appartement plutôt cossu pour un simple pompiste. Il se couche dans son lit, après avoir absorbé une quantité conséquente de rhum. Sur la table de chevet, une photo d'une adolescent.

Les renseignements sur chacun sont distillés au compte gouttes, au fil des rencontres. Ils parlent peu. Surtout pour pas dire grand chose. Ils se domestiquent l'un l'autre. Quand Bensoussan allume un joint dans la boutique Total, Lambert lui fout une grande baffe. Mais il revient le lendemain. Quand Lambert fait frire ses œufs au plat, Bensoussan va servir un client qui n'arrête pas de klaxonner. Mais il faut bien que le film avance et parce que Claude Berri clame que c'est un drame, le drame doit arriver.

Bensoussan est un insouciant, il frime avec sa moto et il croise quartier Saint-Michel (dans l'une des rares scènes de jour), un jeune femme. Lola (Agnès Soral) n'est pas seule, elle est avec une bande de punks (je vais les appeler comme ça par simplicité). Elle s'arrête devant la moto de Bensoussan, elle se regarde dans les chromes de la moto. Il la regarde s'admirer, il lui propose de faire un tour de moto. Comme elle le dira plus tard, elle ne l'a vu que trois heures dans sa vie. Bensoussan esquisse déjà une folle histoire d'amour.

Il parle d'elle à Lambert. Il lui rétorque que les femmes sont toutes des putes. Elle n'est pas la cause de la mort du jeune homme, elle ignorait même qu'il était mort. Mais il meurt à cause de son insouciance, parce que sa came a été volée, parce qu'il a piqué le moto de son dealer Rachid (Mahmoud Zemmouri), parce qu'il doit de l'argent. Le tout au bout de sept séquences, de sept jours, là les fondus au noir s'arrêtent et la machine vengeresse de Lambert se met parce qu'il na plus rien à perdre. Il va tuer les dealers.

Dans la deuxième moitié du film, tout le passé de Lambert explique ce rien qu'il n'a pas à perdre. Dans ce monde, Lambert se considère comme déjà mort. Le dernier personnage du drame qui se joue est l'inspecteur Bauer (Philippe Léotard), calme mais suant comme un goret, le mouchoir essuyant ses perles de transpiration. L'enquête se fait par défaut. Bauer comprend assez vite que Lambert connaît plus Bensoussan qu'il ne le prétend, qu'il est celui qui accompli cette vengeance, et ça l'arrange que les dealers soient butés.

Lambert devait voir en Bensoussan un deuxième fils, il avait tout fait pour arranger son business. Plus tard, c'est Lola qui entre dans sa vie. On ne saura rien d'elle. Ecorchée vive, le chewing-gum constamment dans la bouche qu'elle mâche avec frénésie, le verbe assassin, les réactions impulsives. Elle a du mal à comprendre ce que ce vieux Lambert, dont elle dit qu'il a une tête de flic, lui veut. Après avoir échoué à « sauver » son protégé, il veut l'aider elle en feignant de lui demander de l'aide.

Alors c'est noir comme la nuit noire des rues du nord de Paris, c'est poisseux comme la sueur de Bauer, c'est dramatique comme un Duvivier de la grand époque, mais paradoxalement c'est le film le plus calme de Claude Berri, le plus épanoui. Coluche, qui est mort il y a tout juste 34 ans, je le redis est vraiment impressionnant avec ce corps massif, que ce soit en bleu de travail, en débardeur crasseux ou en costume cravate quand il accomplit sa vengeance. Je n'avais pas vu le film depuis des années, je l'ai totalement redécouvert.



























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