Faire
un Tchao Pantin. Je ne connais aucun autre film dont le titre
soit devenu une expression du jargon des professionnels de la
profession. Un acteur comique qui se voit récompensé pour son
premier rôle dramatique. C'est ce qui est arrivé à Coluche avec
son César du meilleur acteur en 1984. Depuis, tous les comiques
tentent leur Tchao Pantin, ça marche parfois (Gérard Jugnot
dans Tandem, Michel Blanc dans Tenue de soirée et
Monsieur Hire) ça échoue la plupart du temps. Je ne vais pas
en faire la longue liste.
Pour
ne pas montrer tout de suite le visage de Coluche, Claude Berri
commence par l'arrivée de Richard Anconino vers la station Total. Il
joue Bensoussan, un gars dont la mobylette est en panne. Il tente,
vainement, de la faire redémarrer sous une pluie battante. Derrière
lui, on distingue les gyrophares d'une voiture de police qui le suit
lentement. La station d'essence est son refuge. Lambert, le
personnage de Coluche, est d'abord filmé de dos. Il observe la
scène. Puis il se retourne quand Bensoussan entre dans la boutique.
Cheveux
plaqués en arrière, légère tonsure sur le dessus du crâne, une
fine moustache bien noire, des rouflaquettes aux bords bien rasés.
Coluche n'est pas méconnaissable mais il est transformé. Mais
surtout, il a abandonné tous ses tics comiques que Claude Berri
avait largement exploité dans Le Maître d'école et dans
Inspecteur La Bavure de Claude Zidi qu'il avait produit. Il a
le visage fermé. Il le gardera tout le film. Seule sa voix demeure
mais il adopte un ton monotone. Il se déplace à pas mesurés.
La
première moitié de Tchao Pantin est découpée en larges séquences
qui se terminent toute par un fondu au noir. Sept séquences qui sont
autant de journées où Lambert et Bensoussan se découvrent. En
début, on ne sait évidemment rien de leur vie. Ils ne se
connaissent pas, on ne les connaît pas. Les séquences sont courtes,
essentiellement nocturnes puisque les deux hommes travaillent de
nuit. Lambert est don pompiste et Bensoussan vole des mobylettes ou
des motos et va vendre de la drogue à des camés.
Bensoussan
habite dans un studio en mansarde dans un immeuble délabré. Les
escaliers tiennent à peine. Il cache ses petites doses de cocaïne
ou d'héroïne, puis ses billets gagnés, dans sa collection de Que sais-je. Toute une étagère adossée à un mur est remplie des
bouquins. Lambert, au petit matin, rentre chez lui. Un grand
appartement plutôt cossu pour un simple pompiste. Il se couche dans
son lit, après avoir absorbé une quantité conséquente de rhum.
Sur la table de chevet, une photo d'une adolescent.
Les
renseignements sur chacun sont distillés au compte gouttes, au fil
des rencontres. Ils parlent peu. Surtout pour pas dire grand chose.
Ils se domestiquent l'un l'autre. Quand Bensoussan allume un joint
dans la boutique Total, Lambert lui fout une grande baffe. Mais il
revient le lendemain. Quand Lambert fait frire ses œufs au plat,
Bensoussan va servir un client qui n'arrête pas de klaxonner. Mais
il faut bien que le film avance et parce que Claude Berri clame que
c'est un drame, le drame doit arriver.
Bensoussan
est un insouciant, il frime avec sa moto et il croise quartier
Saint-Michel (dans l'une des rares scènes de jour), un jeune femme.
Lola (Agnès Soral) n'est pas seule, elle est avec une bande de punks
(je vais les appeler comme ça par simplicité). Elle s'arrête
devant la moto de Bensoussan, elle se regarde dans les chromes de la
moto. Il la regarde s'admirer, il lui propose de faire un tour de
moto. Comme elle le dira plus tard, elle ne l'a vu que trois heures
dans sa vie. Bensoussan esquisse déjà une folle histoire d'amour.
Il
parle d'elle à Lambert. Il lui rétorque que les femmes sont toutes
des putes. Elle n'est pas la cause de la mort du jeune homme, elle
ignorait même qu'il était mort. Mais il meurt à cause de son
insouciance, parce que sa came a été volée, parce qu'il a piqué
le moto de son dealer Rachid (Mahmoud Zemmouri), parce qu'il doit de
l'argent. Le tout au bout de sept séquences, de sept jours, là les
fondus au noir s'arrêtent et la machine vengeresse de Lambert se met
parce qu'il na plus rien à perdre. Il va tuer les dealers.
Dans
la deuxième moitié du film, tout le passé de Lambert explique ce
rien qu'il n'a pas à perdre. Dans ce monde, Lambert se
considère comme déjà mort. Le dernier personnage du drame qui se
joue est l'inspecteur Bauer (Philippe Léotard), calme mais suant
comme un goret, le mouchoir essuyant ses perles de transpiration.
L'enquête se fait par défaut. Bauer comprend assez vite que Lambert
connaît plus Bensoussan qu'il ne le prétend, qu'il est celui qui
accompli cette vengeance, et ça l'arrange que les dealers soient
butés.
Lambert
devait voir en Bensoussan un deuxième fils, il avait tout fait pour
arranger son business. Plus tard, c'est Lola qui entre dans sa vie.
On ne saura rien d'elle. Ecorchée vive, le chewing-gum constamment
dans la bouche qu'elle mâche avec frénésie, le verbe assassin, les
réactions impulsives. Elle a du mal à comprendre ce que ce vieux
Lambert, dont elle dit qu'il a une tête de flic, lui veut. Après
avoir échoué à « sauver » son protégé, il veut
l'aider elle en feignant de lui demander de l'aide.
Alors
c'est noir comme la nuit noire des rues du nord de Paris, c'est
poisseux comme la sueur de Bauer, c'est dramatique comme un Duvivier
de la grand époque, mais paradoxalement c'est le film le plus calme
de Claude Berri, le plus épanoui. Coluche, qui est mort il y a tout
juste 34 ans, je le redis est vraiment impressionnant avec ce corps
massif, que ce soit en bleu de travail, en débardeur crasseux ou en
costume cravate quand il accomplit sa vengeance. Je n'avais pas vu le
film depuis des années, je l'ai totalement redécouvert.
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