« Le
destin ça n'existe pas ». répond avec colère César
Soubeyrandit le Papet (Yves Montand) au tout début de Manon des
sources. C'est la faute du destin penses son neveu Ugolin (Daniel
Auteuil) s'il ne s'est jamais marié. Dans la famille Soubeyran pour
ne pas dilapider leur or, leur fortune dont ils sont si fiers, ils se
sont mariés entre cousins. « Deux folles et trois suicidés,
voilà ce que ça a donné ». Et dans le genre un peu mal fini,
le Galinette, comme l'appelle son oncle est pas mal.
Dans
la première séquence de Jean de Florette, Ugolin revient au
village en car. C'est la quille, qu'il porte autour du cou, il a fini
son service militaire. Daniel Auteuil s'est fait un visage de brave
couillon, une prothèse dentaire qui le rend laid, des cheveux roux
qui lui donnent un air hirsute, des haillons qu'il semble porter
toute l'année. Il monte dans ce qui lui sert de logis, une cabane en
flanc de collines à quelques pas plus haut de la grande ferme du
Papet.
Cette
ferme c'est le dernier bastion des Soubeyran, la famille la plus
riche des Bastides Blanches, comme tout le monde se répète à le
dire. Le Papet est resté vieux garçon, on comprendra vite qu'il est
resté amoureux toute sa vie de cette Florette, une fille du village
qui aurait trahi la communauté en épousant un gars de Crespin.
Querelle de clocher ! Le Papet a gardé depuis 30 ans le peigne
de Florette, son seul souvenir d'elle qu'il fétichise en secret.
Yves
Montand lui pour incarner ce César, totalement différent du César
de la trilogie de Marseille, s'éloigne autant que possible de la
truculence de Raimu. Il porte toujours son chapeau de feutre, une
sorte de couronne pour bien montrer aux autres du village son statut.
Des beaux habits aussi et souvent un cravate ce qui dans la garrigue
provençale doit donner drôlement chaud. Mais il faut garder son
rang de notable.
Ugolin
est revenu de l'armée avec des boutures d’œillets. Voilà son
projet, cultiver des œillets qu'il compte vendre très chers au
fleuriste de Manosque (joué par Francisned le petit frère de
Fernandel). Avant de dévoiler son projet, il le tien secret à son
oncle. Seulement voilà, sa terre est bien pauvre (ça pousse surtout
des cailloux) alors il vise la ferme des romarins que tient le frère
de Florette un certain Pique-Bouffigue au caractère bien trempé.
Notre
homme du haut de ses oliviers centenaires refuse l'offre d'achat du
Papet. Tout colère, il veut les chasser du terrain mais tombe de son
olivier, le Papet le fait tournoyer par les pieds et le
Pique-Bouffigue meurt. Quelle aubaine en fin de compte. Pas
d'héritiers, les Soubeyran vont vite pouvoir acheter la ferme qui
sera probablement mise aux enchères. C'est évidemment sans compter
sur le destin car voici, quelques jours plus tard, que Ugolin voit
arriver un trio tout endimanché.
Le
voilà enfin ce Jean de Florette, ce bossu sans l'accent que joue
Gérard Depardieu mais avec un beau costume cravate. On apprendra en
toute fin du diptyque d'où vient sa bosse qui il est, fermant la
boucle de ce destin funeste, de la fatalité qui s'abat sur la
famille Soubeyran. Jean Cadoret est marié à Aimée (Elisabeth
Depardieu), une cantatrice à la retraite et ils ont une fille Manon
(Ernestine Mazurowna), que jouera Emmanuelle Béart dans la deuxième
partie.
Le
complot du Papet se met en place petit à petit. Ugolin va jouer au
gentil voisin, un peu couillon, affable, serviable mais il est
l'espion de son oncle qui improvise un plan pour nuire à Jean de
Florette. Ils ont bouché la source de la ferme des romarins, ce qui
est un crime en soi. Tout le monde le sait au village, mais personne
ne dira rien. Comme on l'entend plus tard, ça n'est pas l'affaire
des villageois, chacun se mêle de ce qui les regarde.
Sans
eau, il est difficile de cultiver de « l'authentique »
comme se moque le Papet. J'ai toujours aimé cet accent que Yves
Montand et Daniel Auteuil prennent pour ces discussions dans la
cuisine pendant les repas servis par la domestique muette du Papet.
Cet authenticité dont ils rient sous cape, alors que Jean a étudié
dans des livres l'agriculture, il ne parle que chiffres, rendements,
lapin, coucourde et citerne d'eau. Et les deux attendent l'échec du
bossu.
Puisque
le destin se met lentement en place avec ce faux-jeton de Galinette
qui a ensorcelé Jean de Florette malgré les réserves de sa femme
et les remarques de Manon (« il est laid »), il faut
qu'il s'accomplisse avec la fin tragique de l'apprenti fermier qui
voit ses récoltes de maïs sécher, ses courges pourrir sur pied et
ses lapins crever de soif. Et pendant ce temps, Ugolin l'observe, les
yeux baissés de honte, se crever à porter de l'eau à dos
d'annesse.
Ce
qui est très fort dans la mise en scène de Claude Berri, ce qui est
rappelé à la fin de Manon des sources, c'est que César n'a jamais
adressé la parole à Jean, qu'il ne l'a jamais regardé dans les
yeux, qu'il n'a jamais entendu le son de sa voix. Il l'observe de
loin, l'espionne, satisfait de son échec. La seule fois où les deux
hommes se font face, c'est au terrain de pétanque quand une boule
manque de percuter les Cadoret, mais Jean ne dit pas un mot.
Manon
des sources commence 10 ans plus tard, après la mort
accidentelle de Jean de Florette. La ferme des romarins est exploitée
par Ugolin. Ils ne le savaient pas mais Manon l'avait vu déboucher
la source, elle s'était enfui en hurlant. Depuis, c'est une bergère.
Emmanuelle Béart gambade sur les collines, loin du village, elle ne
sait pas encore qu'elle va parvenir à se venger de la mort de son
père causée, avec tant de cruauté, par les Soubeyran.
C'est
le nouvel instituteur (Hyppolite Girardot) qui va tout enclencher,
qui va, sans le savoir, fournir le mode opératoire du destin. Il
s'intéresse à la nature, il s'intéresse à la fontaine qui
alimente le village en eau. Alors bien-sûr, cette deuxième partie
que j'aime moins que la première, est celle des amours, la jeune
bergère est attirée irrésistiblement par le jeune instituteur, ils
se comprennent, ils s'aident, ils partagent des secrets.
Mais
ce qui est de plus beau c'est la fatum que se coltine Ugolin,
ses cris dans les collines « Manon, Manon, je t'aime d'amour »,
ce ruban qui appartient à Manon et qu'il se coud sur le poitrail,
ses maladresses qui confinent à la bêtise crasse quand il continue
encore et encore de suivre les conseils de son oncle. Sa gueule, au
fur et à mesure qu'il souffre de cet amour en sens unique, part de
plus en plus de traviole. La tragédie s'accomplit.
J'ai
vu Jean de Florette au cinéma quand j'avais 14 ans et demi,
j'allais peu au cinéma quand j'étais adolescent. C'était d'autant
plus rare que mon père détestait Yves Montand et tout ce qu'il
représentait pour lui. Là encore, le film de Claude Berri m'a
toujours impressionné, je le connais par cœur, je peux faire de
chouettes imitations d'Ugolin et du Papet et j'ai toujours dans un
coin de ma mémoire l'air d'harmonica de Toots Thielemans titré « la
force du destin ».
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