Lenny
Bruce s'appelait Leonard Alfred Schneider. En 1951, pour percer dans
le monde merveilleux du show-business, il valait mieux modifier son
nom, le rendre plus WASP, plus passe-partout. Jerry Lewis qui a
commencé quelques années avant Lenny Bruce avait bien compris et
changé son nom Joseph Levitch pour la même raison. Mais dès qu'il
s'agit de trouver un avocat pour l'aider lors de ses procès, Lenny
Bruce (Dustin Hoffman) ne compte embaucher qu'un homme dont le nom se
terminerait par berg.
Bob
Fosse décide de remonter le temps de la carrière artistique et
judiciaire de Lenny Bruce, une bonne quinzaine d'années de 1951
jusqu'à sa mort. Qui va parler ? Son épouse Honey (Valerie
Perrine) pour commencer dont les lèvres en gros plan occupent tout
le cadre dans un noir et blanc magnifique et aussi son impresario
Artie (Stanley Beck), dans un récit en long flash-back et
témoignages à la Citizen Kane, ceux qui évoquent la vie de
leur client ou mari en connaissance de cause, c'est-à-dire après sa
mort.
Les
trois premiers plans de Dustin Hoffman dans son personnage de Lenny
Bruce sont dans une salle de spectacle très sombre, la poursuite
lumière sur lui. Il apparaît d'abord de dos, puis de trois quarts
et enfin de face. Il est babru ce qui indique dans le temps du film
que c'est sa période « salace », je vais l'appeler comme
ça, sa période où il s'en prenait à beaucoup de gens, surtout
ceux qui avaient le pouvoir, bref c'est ce personnage que Bob Fosse
filmera aussi dans la partie cinéaste de Gideon dans All that
jazz.
Ces
spectacles, l'invention du stand-up, ont créé pas mal de soucis à
Lenny, les mêmes grosso-modo que ceux de Larry Flynt de Milos
Forman, atteinte aux bonnes mœurs. C'est qu'à cette époque aux
Etats-Unis on ne rigolait pas avec « la morale » (comme
partout ailleurs cela dit). Les procès sont filmés comme des joutes
verbales avec un résultat similaire, le département de la justice
reste insensible à la dénonciation de l'hypocrisie dans le monde du
spectacle comme dans la vie.
La
police veille au grain pour éviter les dérapages et le public vient
surtout pour voir non seulement les mots interdits que Lenny va
prononcer mais aussi la police l'arrêter. C'est ce spectacle qui va
le faire petit à petit vriller. Lui ne voulait que démontrer
l'hypocrisie, prononcer plusieurs fois le mot nigger devant
des Noirs jusqu'à ce qu'il perde son sens, pouvoir donner tous les
sens du verbe come dans un sketch, venir et jouir.
De
ce point de vue, les procès sont fascinants dans ces joutes verbales
(bien plus que les spectacles, je reconnais bien volontiers que
Dustin Hoffman est très bon dans le stand-up, dans les envolées de
logorrhées), mais les procès avec ce juge idiot, ce greffier à qui
ont fait relire les mots de Lenny (qui du coup perdent tout sens),
les témoins bornés sont drôlement bien troussés, là c'est Lenny
Bruce qui devient le spectateur privilégié qu'il vit avec un
sourire narquois.
Il
allait, dit le film, jusqu'au bout de ses convictions et de ses
provocations jusqu'à vider la salle de spectacle quand il se
contentait de lire les faits divers du journal comme de la salle de
tribunal où ses facéties n'amusent plus les badauds ni les
journalistes. Il ira même à pousser le pas à virer ses deux
avocats. Ainsi en fin de film Bob Fosse montre un homme totalement
solitaire, isolé et incompris, voilà pourquoi les témoignages a
posteriori sont une excellente idée.
Le
film démontre comment il est devenu aussi seul, faisant le vide
autour de lui. En début de film, au moment de sa rencontre avec
Honey, une strip-teaseuse, il ne fait que raconter des blagues
ringardes entre les effeuillages des jeunes femmes. Il est encore
tout gamin – remarquable transformation physique de Dustin Hoffman
– avec son petit costume cintré, loin de la barbe et de la chemise
jeans ouverte dans les années suivantes.
C'est
ce gentil petit gars au sourire éclatant qui va tomber amoureux de
cette femme gironde un peu naïve. Il lui fait livrer tout un magasin
de bouquets de fleurs dans sa chambre d'hôtel, tambourine à sa
porte comme un gamin, il la présente à sa mère (Jan Miner) –
elle aussi sera l'une des témoins du film – et à sa grand-mère
dans la scène la plus drôle du film, la grand-mère fait « feh »
comme une mouette devant les grossièretés de son petit-fils.
Ce
couple désuni doit faire face à des célébrités du music-hall qui
les écrasent. L'un d'eux, une immense vedette affirme le film,
demande à Lenny de ne pas sortir d'horreur. Lenny fera bien
l'inverse. Tout ce qui est interdit il le fait, il défie la
ségrégation par exemple, à la fois en allant dans des jazz clubs
et en couchant avec des femmes noires, ce qui était interdit dans
pas mal d'états du sud démocrate.
Le
film creuse aussi la vie de Honey, leur lune de miel un peu minable,
leur accident de voiture où il s'avère que Lenny est volage, les
premiers temps de la drogue dure pour calmer les douleurs, la prison,
la naissance de leur fille. Et surtout leurs engueulades, leurs
séparations multiples suivies de réconciliations multiples. Ce sont
autant d'éléments à charge comme à décharge, finalement tout le
film est un procès sur Lenny Bruce tout en clair-obscur.
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